10. le philosophe

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Pendant tout ce temps Shakti attendait tranquillement, assise nonchalamment, jambes allongées, ses pieds posés sur la chaise voisine. Elle écoutait la musique et regardait les gens distraitement. Elle pensait à Tio qui lui faisait beaucoup d'effet et ne pût s'empêcher de laisser divaguer sa pensée sur... Sur plusieurs choses en même temps à vrai dire ! Elle se laissait aller à des pensées érotiques, qui s'entrechoquaient avec des questions d'électronique qui la préoccupait depuis deux jours, à propos des communications radios, mais aussi à quelques passages de son livre de chevet, d'un certain Nietzsche, philosophe du XIXème siècle.

Shakti faisait partie de la corporation des gens de science. Elle était douée, jeune, et recherchée par les différentes guildes de sa corporation qui essaimaient dans les différentes cités. Sa spécialité c'étaient les sciences électroniques et informatiques. Bidouiller les machines et les programmes, elle aimait ça et elle était douée pour ça. Hardware et software.Elle avait un don pour récupérer les données dans les machines abîmées. Si la machine provenait des ruines de l'ancienne période, c'était très rémunérateur.

Elle s'intéressait aussi à l'interfaçage cerveau-machine qui avait été pratiqué au XXIème siècle peu avant l'effondrement, Gaëtan en avait fait les frais. Alors elle n'avait plus cet enthousiasme du départ.

Les sociétés après l'effondrement s'étaient reformées en castes ou corporations. Artisans, gens de science, cultivateurs, gardiens, ambassadeurs, artistes, etc. Les humains avaient amèrement payé les aveuglements de la modernité. Sans créer à proprement parler de castes, il s'agissait de créer une sorte d'équilibre des rapports de force dans les sociétés qui se recréaient en opposition avec les pratiques anciennes.

Un éclair de pensée. Shakti se souvint d'une phrase d'un penseur obscur dont elle avait lu les phrases les plus connues, elle murmura pour elle-même :

- Harmonie, tension entre deux - ou plusieurs - forces opposées, comme les tensions des forces dans un instrument de musique, comme la harpe. Cet Héraclite avait déjà décidément tout dit.

Gaëtan, voyant qu'elle était plongée dans la rêverie, avait renoncé à lui adresser la parole et s'était éloigné pour discuter avec des voyageurs et commerçants qu'il connaissait un peu. Mais celui qu'on appelait dans la cité le philosophe à la brouette avait terminé de manger et s'approcha d'elle. Elle le regarda et l'invita à s'asseoir, ce qu'il fit tandis que son singe filait sur la table pour ramasser quelques miettes de pain. Shakti dit alors :

- Vous savez ce qu'il y a de troublant quand on commence à lire vraiment de la philosophie ?

- Dites-moi.

- C'est que je parle souvent avec les philosophes que je lis. Tantôt telle phrase m'épate, tantôt je m'emporte contre lui et lui fait savoir mes arguments pour lui dire combien il a tort. Et puis quelques jours après arrive un événement ou je ne sais quoi qui me refait penser autrement.

- En fait vous n'êtes plus seul dans votre tête...

- Oui c'est ça ! en quelques sortes... Tu m'étonnes qu'on prenne les philosophes pour des gens un peu fou !

- Platon disait que penser c'est un peu dialoguer, car on se parle à soi-même comme l'on parlerait à une personne absente, et nous répondons à sa place. La pensée est une parole intérieure.

- Oui.

- Mais le langage nous l'apprenons de nos parents qui nous l'ont enseigné par mimétisme. Finalement nous commençons un dialogue avec nos parents, et tout à coup, seul dans notre chambre nous parlons à des personnes absentes, alors nous parlons à nos jouets, nos objets, nos plantes, nos animaux, et nous répondons à leur place, et ainsi se met en place la pensée, un dialogue intérieur qui s'intériorise.

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