24. Le bord du monde

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La direction du vent était bonne et permit au navire d'accoster sans difficultés. Les amarres furent arrimées solidement et les trois passagers débarquèrent avec Abaris. Les bâtiments qu'on voyait se détacher étaient aussi des bâtiments en pierre et en bois. Çà et là des hangars. Avec le vent qui soufflait dans cet endroit et l'humidité ambiante, tout était fait pour permettre au soleil de s'infiltrer dans les rues et les places. Les navires eux-mêmes étaient retenus par des cordes supplémentaires. Un système de filets et d'ancres permettait de rattraper des navires qui auraient perdu le contrôle, risquant de filer vers le vide du Bord.

« La prochaine fois les amis, je vous ferais naviguer un peu, nous aurons plus de temps j'espère. Vous voyez ces petits catas là-bas, oui ?! Ça c'est top pour les courses de vitesse sur la glace. Je vous laisse nous allons débarquer les caisses. Allez sans tarder chercher une caravane pour demain matin.

- Merci Abaris. Et vous Julie ? Où allez-vous ?

- Je cherche à rejoindre le Dôme.

- L'observatoire ?!

- Oui, vous savez au nord de cette vallée, vous n'êtes pas les seuls à chercher des lieux anciens. Nous avons trouvé des choses et on m'a demandé de venir.

- Bien. qu'est-ce que c'est ?

- Des cartes, des écrans, des livres. Je crois que les cités sont sur le point de pouvoir communiquer ensemble à distance de manière bien plus simple.

- Si jamais vous avez besoin de nos services, vous savez comment nous contacter.

- Je vous remercie Dio. »

Dio appréciait la compagnie de cette femme au naturel contemplatif, aimant la beauté des paysages et absorbée dans des théories abstraites de gravitation quantique à boucle, de galaxies lointaines, de soleil en flammes et d'océans de gaz avalés par des trous noirs.

Tio, lui, avait l'air sombre et semblait absent et impatient. Dans son esprit l'urgence d'en finir avec cet entraînement, le désir de revoir Shakti le plus vite possible et la frustration de ne pouvoir la toucher encore après cette première nuit. Tout cela tournait dans sa tête.

Dio également était impatient de revoir Cryo, mais il ne savait pas bien comment envisager cette nouvelle rencontre. Elle n'avait même pas parlé de nouvelle rencontre à vrai dire.

« Tio ça va ?

- Oui mon frère. Je suis impatient, et je voudrais déjà revoir Shakti et savoir détruire ces ombres comme l'a fait Mordred.

- Je me disais... Ne devrions-nous pas retourner dans cette montagne où l'on nous a trouvé et chercher quelque chose qui pourraient nous éclairer... sur nous-mêmes ?

- Oh !? Que se passe-t-il ? C'est cette Astrophysicienne qui t'as retourné le cerveau ?! Voilà que tu t'intéresses à qui tu étais ? Je croyais que seul le présent comptait ?

- Oui... Oui...

- Eh bien le présent ce sont les ombres, et l'avenir avec Shakti je ne le conçois pas sans se débarrasser de ça ! Tu crois qu'on va trouver des choses sur les ombres en cherchant qui l'on était ?

- Non ce serait présomptueux, pour le moins... égocentrique.

- Ouai ! Tu l'as dit.

- Ce que je veux dire c'est que je ne suis pas sûr que la violence...

- Tu vas pas recommencer ! Tu vas faire quoi ? Prier ? leur demander gentiment de rentrer ?

- Mais nous n'avons pas de compétences scientifiques ou de savoirs sur ces trucs, nous ne connaissons que la montagne, l'aventure et les ruines.

- Ouai mais on sait fouiner le passé et peut-être que ces machins sont liés à quelque chose qu'on trouvera là-bas sur les mille îles, si c'est bien de là qu'elles viennent.

- Je ne le sens pas, j'avoue que ça me fait peur cette histoire. On met le doigt dans un engrenage qui nous dépasse.

- Ça c'est sûr, mais on ne peut pas rester retranchés. Si personne ne s'engage qui le fera pour ceux qu'on aime ?

- Oui... Tu as complètement raison.... Mais...

- Mais ! Mais ! Mais ! mééééé ! Et puis je ne compte pas rester dans les Techs, quand j'aurais acquis les techniques de combat nous reparlerons de ce que nous pourrons faire. Allez poule mouillée ! dis plutôt que t'as peur de monter à cheval !

- T'es pénible... J'y peux rien s'ils préfèrent brouter que m'écouter. Ça grogne ces trucs-là ! Pis c'est peureux ! On peut pas faire un mouvement brusque et ils se cabrent.

- C'est toi le peureux !»

Ils sourirent et entrèrent dans la grande auberge où ils avaient l'habitude d'entrer.

« Tu veux qu'on se sépare ? Moi je vais voir si ya des bouquins ou des trucs intéressants et toi tu t'occupes de trouver les caravaniers.

- Oui ok, c'est mieux ils vont sentir que tu as peur des canassons.

- Gnaa ! allez je prends la chambre habituelle si elle est libre ok ?

- Oui ! à tout à l'heure. »

Tio trouva facilement quelqu'un qui organisait une caravane pour partir à cheval à Kalkishiir. Il eut même le temps de s'organiser et de traiter les affaires courantes dont ils avaient l'habitude : rumeurs de découvertes, nouvelles cartes, renseignements contre la promesse de ramener des livres, des objets anciens faisant plus ou moins office de curiosité, des matériaux de récupération comme le fer ou le cuivre, du matériel électronique, etc. Il était possible de passer des contrats tacites ou écrits pour troquer les futures trouvailles en échange de la peine prise pour les ramener.

Dio entra dans une maison dont la porte était entrouverte. Une impression d'étrangeté le prit brusquement. C'était à chaque fois pareil. Le petit bonhomme chauve et barbu, avec un tablier en cuir tenait un cabinet de curiosités. Des objets les plus divers, des animaux empaillés, des livres, des sculptures en bois, en bronze, en plastique, de petits écrans, d'anciens smartphones, des objets de décoration, de vieilles fripes en cuir, des instruments de musique anciens. Tout cela éveillait en Dio de la curiosité, une impression de monde englouti dans un temps figé. Il trouva par hasard l'un des livres que le philosophe cherchait : le meilleur des mondes d'Aldous Huxley. Le petit bonhomme s'étonna qu'on veuille lire ce truc qui selon lui foutait le bourdon. Il accepta de le donner contre la promesse d'un service du philosophe. Ils discutèrent des livres que le philosophe entassait dans son moulin et de ses installations électriques pour alimenter la cité. Dio partit finalement avec un cadeau :

« Tenez ça je vous le donne, c'est un pendentif.

- C'est quoi, une sorte de marteau avec des entrelacs ?

- Oui c'est le marteau de Thor, avec une lanière en cuir.

- De Thor ?

- Oui le dieu du tonnerre dans la mythologie nordique ancienne.

- Ah c'est marrant je ne connais pas bien ces mythes.

- Eh bien... parler de ces machines électriques ça m'a fait penser à ça, je vous le donne de bon cœur.

- Merci à vous, ça me fait très plaisir !

- Je t'en prie ptit gars ! tu sais ce qu'on dit là-haut dans ta montagne :

Ce qui n'est pas donné est perdu.

Beyond 42Où les histoires vivent. Découvrez maintenant