22. Portiques et multivers

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Tio, dans la cabine qu'il partageait avec Dio et l'équipage, tentait de méditer, assis en tailleur sur du cordage. Shakti lui avait fait promettre solennellement qu'il pratiquerait tous les jours les exercices d'Adamanthe.

Il s'essaya d'abord à la relaxation, puis à des exercices respiratoires, pour enfin rester immobile. Toutes les sensations l'assaillaient. La corde dure sous ses fesses, le froid sur son visage. Il sentait son corps en contact avec la corde, ses vêtements contre sa peau, ses cheveux sur son visage, les secousses infimes du navire. Il entendait les craquements de la coque, le sifflement du vent, les paroles fortes de l'équipage, les rires. Il entendait même l'air siffler doucement dans ses oreilles. Il voyait sous ses paupières des étincelles et des lumières résiduelles. Il prenait conscience de l'odeur de sueur dans la cabine à laquelle il s'était habitué. Il sentait le goût de sa salive. Il arrivait à sentir son corps lourd, comme poussé par la pesanteur, les pulsations de son cœur là où son attention se posait. Il sentait la chaleur dans ses mains et la relaxation musculaire qui s'installait tant bien que mal. Les respirations avaient calmé son esprit quelque peu.

Il resta ainsi sans rien faire qu'être attentif à ses sensations. Les pensées affluaient, les idées, les images de la veille, les émotions. Tout bascula dans son esprit, comme en une sorte de rêve, il ne sentait plus vraiment son corps, il voyait shakti en danger, ses peurs, son corps nu et leurs ébats, l'ombre s'évanouir sous les coups d'épée de Mordred, il laissait son esprit l'emporter dans un rêve à moitié éveillé dont il ne sortit que parce qu'un bruit plus fort à l'extérieur lui fit prendre conscience qu'il s'était mis à rêver. Son esprit impatient se demandait bien à quoi cela pouvait bien servir de rester immobile encore, alors soulevé par cette impulsion, il se leva et monta sur le pont.

Il s'attendait à voir l'horizon des étendues glacées du lac, il contemplait les falaises abruptes de la passe aux pieds desquelles le vaisseau glissant venait d'arriver. La voilure était ramenée, comme recroquevillée. Le vaisseau ondulait doucement comme sur des vagues qui auraient été figées par la glace. L'équipage se tenait aux extrémités du navire, à l'avant pour surveiller l'évolution des congères et sauter à terre pour éventuellement attaquer un déblaiement qui prendrait du temps, à l'arrière pour lancer rapidement des ancres dans la glace au cas où il faille stopper rapidement le bâtiment. Un homme à l'avant et un à l'arrière ne s'occupait que de tenir prête une arbalète.

Le navire glissait lentement dans la passe dans laquelle s'engouffrait le vent de manière assourdissante. Abaris donna une grande claque dans le dos de l'homme qui tenait la barre à ses côtés.

« Par le Scythe ! On va filer tranquillement aujourd'hui.

- Oui la neige s'est figée surtout sur les rocs de la passe », Fit l'homme également vêtue de cette armure de cuir marron cloutée, typique des marins du lac, le visage à moitié caché dans un col de laine noire. Abaris sembla énoncer une sorte de dicton :

« Ce qui ne dépend pas de nous est doux aujourd'hui encore ! »

En quelques minutes le vaisseau sortit de la passe et l'horizon gelé s'ouvrit à nouveau à eux, le soleil faisant briller au sud-est la neige comme un miroir éclatant. Le vent était chaotique de ce côté-ci de la passe. Les voiles claquaient sous les bourrasques tourbillonnantes. Mais lorsque les falaises furent suffisamment éloignées, le vent repris sa régularité.

La jeune scientifique aux cheveux châtains qui prenait plaisir à contempler ces étendues en esthète fit un signe de la main :

« Il y a un navire là-bas qui file vers le nord-est

- Vous avez de bons yeux Ma Dame ! Oui ils contournent ces falaises par l'autre chemin. Nous devrions arriver au Bord en fin de journée. Regardez là-bas les mouflons qui traversent le lac en galopant d'îlots en îlots.

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