23. concile & sanskrit

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Une caravane de mufles des neiges montaient, depuis deux longues journées, vers le village dans les montagnes. C'étaient d'imposants bovidés, de gros buffles laineux pourvus d'énormes cornes droites ou courbées. Ces animaux avaient tant de laine près des sabots que cela leur faisait comme des coussinets. La caravane avançait lentement.

Certains de ces colosses placides portaient de grands ballots, certains des humains. Quelques hommes et femmes de la caravane marchaient en raquettes. Shakti et Gaëtan, montés sur le même énorme bovidé et assis sur des selles en laines solidement harnachées, parlaient peu. Le froid était mordant et le vent leur projetait des paquets de cristaux de neige dans le visage. Gaëtan portait une sorte de grand turban de laine marron, qu'il défit légèrement pour parler.

« Si je puis me permettre, il serait fort nouveau que nous expérimentassions de passer quelques temps au soleil des sables du confins ! » grommela-t-il.

Shakti se tourna pour le regarder, elle n'avait pas pratiqué ses exercices - de respiration - Tumo depuis un moment, elle sentait donc plus le froid que d'habitude.

« Peut-être iront nous là-bas un jour, il y a des rumeurs concernant certaines avancées technologiques. Tu sais Gaëtan, je ne suis pas sûre que l'entraînement de Tio auprès des brises lames soit une bonne chose. Cela m'inquiète, plus que les ombres à vrai dire. J'ai peur que Tio se perde, j'ai peur de perdre le Tio bagarreur au bon cœur, surtout son cœur, dans les combats atroces qu'il pourrait avoir à mener.

- Nous sommes tous confrontés à un moment ou un autre à devoir nous engager, flirter avec nos côtés sombres, n'est-ce pas cela être humain ?

- Je crois qu'être humain c'est quand tu es ressorti de cette fange en nous, quand on a sublimé nos noirceurs.

- Ne restent-elles pas tapies dans... les ombres !

- Ouai bon... On va pas filer les métaphores comme dirait le philosophe

La caravane passa devant un monument en pierre qu'on appelait encore un stupa. Gaëtan qui ne concevait pas que le silence vaille autant que la parole demanda :

« Shakti explique moi ce que c'est que ce stupa, comme tu l'appelles.

- Encore ?! Ta mémoire s'est abîmée ou quoi ?

- Non mais il me serait fort agréable que tu me parlasses, et pour tout te dire : oui je ne me souviens pas de tout, je n'ai pas une mémoire infaillible, et puis c'est compliqué quoi ! »

Ils pouffèrent de rire.

« Ok. Bon alors euh... »

Quelques instants plus tard, au sortir d'un versant la petite cité de pierre et de bois, qui se détachait sur un promontoire dans la montagne, apparut. De grandes forêts couraient sur son versant, d'où sortaient de grands aplombs rocheux. Il ne fallut pas plus de quelques heures pour atteindre les lieux.

Il y avait çà et là autour des murs qui servaient d'enceinte des stupas, des monuments de pierre. Des fils tendus portaient de petits drapeaux de toutes les couleurs avec des dessins et des inscriptions dans une langue qu'on aurait pu penser entre le sanskrit et le tibétain. Un torrent de montagne s'écoulait entre les pierres enneigées, traçant comme des runes noires et complexes dans la blancheur des lieux. La caravane passa sur un grand pont de pierre tandis que les gens se hélaient déjà et se saluaient.

L'architecture du village était assez étonnante. C'était un village d'altitude. Les maisons étaient souvent attenantes, des arches complexes menaient d'un balcon à l'autre. Des portes de bois en cercle, s'ouvraient en roulant à l'intérieur des murs. Des fenêtres en cercle également plus ou moins larges donnaient un côté très singulier à l'endroit. De petites places ou de petits lieux circulaires où jouaient dans la neige des enfants emmitouflés, sous la surveillance de plus âgés. La neige couvrait d'un chapeau mignon des statues de personnes assises en tailleur ou en siddhasana, quand ce n'était pas les bonhommes de neige qui eux-mêmes discutaient avec ces méditants de pierre.

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