25. La cité des guildes

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Shakti ne resta que quelques jours dans le village de son père. Elle et Gaëtan reprirent rapidement la route. Une caravane, longeant les vallées vers le nord-est, arriva au bout de quelques jours à la cité des guildes, à la limite du pays des neiges.

C'est là, sur une grande plaine herbeuse, battue par les vents que la caravane marchait. Les nuages dans le ciel avaient toutes les nuances de gris, de la blancheur à la noirceur. Ils filaient et se métamorphosaient rapidement.

Ici la terre semblait plus près du ciel. Les herbes et la chevelure de Shakti semblaient flotter et onduler dans le vent. Au loin la cité des guildes se dessinait devant les contreforts des plus hautes montagnes du nord.

La cité des guildes était construite sur une sorte de plateau naturel de montagne, une grande plaine herbeuse, plutôt ensoleillée en général, bien que battue par les vents, et abreuvée par de petits torrents de montagne. C'est là qu'avait décidé un petit nombre de personnes de bâtir un lieu - sur les ruines d'un ancien complexe industriel de béton avec des galeries souterraines et d'anciennes verrières.

Ils avaient profité de carrières de pierre non loin dans les montagnes et du bois à profusion qui poussait. De toute façon avec l'effondrement, il n'était plus question de construire n'importe quoi, n'importe où, et le lieu avait été choisi minutieusement. Il constituait un point de croisement entre plusieurs régions du monde connu, tout en étant à l'écart des routes elles-mêmes. Si bien qu'on pouvait très bien emprunter les routes principales connues sans passer par la cité elle-même. Un petit comptoir en contrebas de la vallée servait au contraire de lieu d'échanges et de repos pour les caravanes de marchands passant d'une région à l'autre.

C'était un lieu qui fut pensé comme lieu de rencontres et d'échanges des savoirs, des savoir-faire, des techniques et technologies, un lieu constituant une économie du savoir, une économie des savoirs. C'était aussi un lieu qui cherchait à augmenter son pouvoir, par une tendance naturelle humaine. Bien sûr tous les efforts humains pour s'écarter de la tendance du pouvoir à agir impunément et sans considération d'autrui, se heurtaient souvent aux murs du plaisir, de l'envie, du désir, des vieilles habitudes. L'aide des elfes avait cependant réussi à pacifier de manière notable la psychè humaine.

Il avait s'agit de penser un code, un ensemble de règles de fonctionnement, se vérifiant jusque dans l'architecture, pour créer un texte constituant, instituant un équilibre des pouvoirs au sein de la communauté de la cité, de la communauté des chercheurs, des règles pour vivre, pour exister, pour chercher la connaissance, pour jouir des découvertes et des savoir-faire, pour préserver et harmoniser la vie à la nature environnante, pour échanger les informations, pour que chacun se sente partie intégrante d'un tout, reconnaissant la dignité d'être de chacun, même du plus humble.

Une assemblée constituante s'était regroupée au tout premier temps de la construction de la cité. On racontait dans les livres d'histoire que dans l'Antiquité les anciens grecs avaient demandé à sept sages de réfléchir aux lois constituantes des cités états. A la vérité chaque cité des mondes après l'effondrement avait recouvré une puissance démocratique organique. Chaque homme et femme avait participé à la réflexion et à l'élaboration d'une constitution, visant à penser un équilibre des pouvoirs.

Des règles internes aux factions, aux guildes, aux corps de métiers avaient alors émergé pour faciliter les échanges sans retomber dans la folie des travers du capitalisme de la modernité.

Chaque année, les jeunes accédant à la maturité officielle étaient chargés de penser à nouveau le contrat social dans lequel ils avaient baigné pendant une vingtaine d'année. Ce n'était pas une mince affaire de penser l'équilibre politique d'une génération à laquelle on donne la capacité de parler. Bizarrement dans les sociétés du XXème siècle dites « éclairées » par deux siècles de Lumières, l'idée n'était pas venu à l'esprit de débattre à nouveau du Contrat Social à intervalle régulier. La modernité n'avait pas les Lumières allumées à tous les étages. En revanche on était très fort pour écrire des dystopies ou penser le pire. Mais penser la pente descendante est toujours plus facile. Un auteur du XXème siècle, un penseur parait-il, avait dit : « Il faut suivre sa pente, mais en la remontant » et il s'y connaissait en pentes.

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