44. Incursions

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« Si vous ne faites pas face à votre ombre, elle vous viendra sous la forme de votre destin. »

Karl Gustav Jung


Tio, dut attendre encore quelques jours avant de pouvoir tenter sa première longue balade nocturne. Galvanisé par ses progrès mais impatient de revoir Shakti, il ne s'endormait plus avant ses camarades. À la vérité il pratiquait longuement ses exercices respiratoires, mais craignait encore d'être projeté dans les mondes des ombres durant ses méditations.

Un soir alors qu'il perdait le sens du réel et basculait dans le rêve, L'appel habituel se fit plus fort, un souffle, un murmure indistinct qui semblait provenir des aérateurs. Les douches et les salles d'ablutions avaient les plus grandes plaques d'aération. Et ces mêmes interstices semblaient lui chuchoter inlassablement de traverser la cloison.

En rejoignant les vestiaires de la salle d'entraînement ce soir-là, il se remémora ses premières impressions, qu'il avait jugées comme des hallucinations. Mais il n'en parla pas à Orilus, le vieil elfe guerrier, car ces appels éveillaient sa curiosité, il voulait en avoir le cœur net.

S'il avait finit par se décider à dévisser les plaques et à découvrir un passage assez grand pour qu'il s'y faufila, il ne pouvait le faire n'importe quand. Il s'y reprit à plusieurs fois, tachant de ne pas faire crisser le métal, ou le moins possible.

Ce soir-là, Il prit sa lampe torche de combat et inspecta la bouche d'aération ouverte. Elle semblait bien déboucher plus loin mais il ne distinguait pas le passage. C'était sale, humide et crasseux. Il fit demi-tour, alla vers son casier et enfila ses anciens vêtements pour ne pas salir sa combinaison d'entraînement.

Il prit son courage à deux mains et s'engouffra, tête la première dans le conduit très large, tantôt accroupi, tantôt à quatre patte. Le passage en acier donnait sur un couloir en pierre et en béton, à taille humaine mais très étroit, partant dans deux directions. Il se releva et pointa sa torche des deux côtés. Il aurait aimé pouvoir se transformer pour jouir de ses capacités de nyctalope à ce moment précis. L'une de ces directions semblait l'appeler. La peur l'étreignit. Quelque chose comme une « boule au ventre » se mit à brûler sous son nombril, il sentit les poils de ses bras se dresser. Il décida de suivre la direction opposée.

Il longea cette espèce de couloir étroit et atteignit rapidement ce qui semblait de grands réseaux d'égouts. C'était probablement le réseau d'une ancienne grande ville humaine sur laquelle les elfes avait bâti leur propre cité. Il pensa immédiatement au système des eaux usées qu'il avait vu à l'entrée de Kalkishiir avec ces grosses bouches d'égout qui sortaient de la montagne. Il jugea cette découverte comme une aubaine. Il pourrait peut-être rejoindre la ville basse, découvrir des passages pour fouiner dans la cité elfique. Il lui fallait s'organiser pour garder cela secret.

À la tombée de la nuit ou très tôt le matin il prenait un peu de temps pour parcourir le réseau des égouts le plus vite qu'il le pouvait, essayait de se repérer dans ce dédale, cherchait les accès, évitait d'aller vers cette respiration qui l'appelait. Il s'accoutumait à la présence de cette peur qui l'étreignait quand il prenait certaines directions dans les couloirs. Il se demandait s'il ne s'agissait pas d'une ombre de peur. Il ne se sentait pas prêt à l'affronter seul, après tout on lui avait promis un entraînement à cette fin et on lui avait fait savoir que quelque chose allait se passer pour y arriver. Pour le moment il s'entrainait à respirer comme on le lui avait appris quand la peur le prenait. Petit à petit il réussit à parcourir aussi les couloirs imprégnés de cette présence insistante. Ils allaient tous dans la même direction.

Il découvrit aussi que de grandes anguilles nageaient dans certaines des canalisations, mangeant les rats, les batraciens et des poissons bizarres perdus dans ces étendues sombres.

De retour dans ses quartiers, Il prit l'habitude de faire les lessives pour avoir plus de temps pour lui et couvrir l'odeur de ses vêtements imprégnés par l'odeur des égouts. Son escouade appréciait le geste et comprenait son besoin de s'isoler. Chacun avait ses occupations préférées pour profiter de moments d'intimité relative. La laverie aussi avait de grandes conduites d'aération, beaucoup plus propres au demeurant.

Il cartographiait dans son esprit les lieux et essayait de les relier avec les bâtiments en surface. Il réussit rapidement à trouver des passages intéressants. Il découvrit également que les structures organiques qui tournoyaient dans et autour des structures elfiques entraient parfois dans de larges conduits d'aération, ce qui pouvait lui permettre de passer d'un bâtiment à un autre, voire de relier certains points des remparts bien plus rapidement. Il prit donc soin de dévisser et déverrouiller toutes les plaques qu'il put déverrouiller.

 



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