20. La mer de glace

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La manœuvre pour sortir du port était toujours la même bien qu'on put faire un départ d'urgence toute voile dehors. Sitôt les amarres et l'ancre détachées de la berge, des hommes poussaient le vaisseau à distance du ponton. Le revêtement sur la coque permettait une glisse extrême qui annulait quasiment les frottements et l'inertie du navire. Ensuite on sortait tout d'abord le phoque avant puis les voiles étaient déployées une par une.

Le vaisseau filait depuis un moment à vive allure et Dio profitait toujours de ce moment pour se placer à l'avant du navire pour se baigner dans les tourbillons du vent et les cristaux de glace ou de neige qui s'envolaient.

Ce lac gelé était immense. On passait à côté de plusieurs îles ou îlots. Abaris s'était vanté d'en avoir établi une carte précise. Il y avait même plusieurs îles très hautes et très abruptes qui renforçaient les vents à certains endroits. Si bien que le chemin de l'aller et du retour n'étaient pas le même. Il fallait bien estimer les courants du vent pour ne pas se retrouver bloqué, et éviter de tirer des bords de manière in(dé)finie.

Des animaux parcouraient çà et là les étendues plates, et des prédateurs sous l'eau, disait-on, pouvaient briser la glace pour manger les imprudents. Mais aucun des deux amis n'avait jamais pu assister à ce spectacle, probablement parce que les vibrations du navire alertaient les créatures aquatiques.

Dio et Tio n'étaient pas les seuls voyageurs à bord de ce gros catamaran. Il y avait là aussi une femme appartenant à une guilde de scientifiques, qui avait fait halte à la bibliothèque du philosophe à propos d'une discussion sur le multivers. Dio discutait tranquillement avec cette jeune femme d'une trentaine d'année, habillé sobrement et chaudement pour les routes d'hiver. Ses cheveux châtains emplis de tresses à la mode elfique lui donnait un air mystérieux. Ses yeux marron pétillaient d'intelligence.

« C'est un sujet à la mode j'ai l'impression Julie ? remarqua Dio.

- Pourquoi cela ?"

La jeune femme paraissait particulièrement étonnée.

"- Eh bien parce que j'en parlais avec la même personne juste avant d'appareiller. Puisque nous avons du temps, pourquoi ne pas m'expliquer votre vision des choses.

- Comme c'est étonnant, mais après tout il aime parler...

- Oui c'est le moins qu'on puisse dire !

- ... et partager ses idées, je suis plutôt d'accord avec sa théorie des communs. J'apprécie cette personne qui souhaite n'appartenir à aucune guilde ou corporation, et de fait souhaite plutôt opérer une synthèse des savoirs et des techniques à des fins existentielles.

- Je ne comprends pas.

- Eh bien chaque corporation apporte ses connaissances et ses savoir-faire aux autres branches des communautés éparses dans le monde connu encore debout. Le philosophe est partisan, comme la plupart d'entre nous après l'effondrement des sociétés du XXIème siècle, d'une science qui soit simple et pratique, même si elle peut de fait être hautement théorique, et surtout lier nos vies à nos besoins existentiels et à une recherche d'harmonie. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre. C'est étonnant que cela ne vous soit pas familier.

- J'ai eu un accident il y a deux ans, j'ai perdu la quasi-totalité de ma mémoire.

- Oh veuillez m'excuser... Puis-je vous poser une question indiscrète ?

- Je vous en prie.

- Est-ce que cela ne vous pose pas un problème d'identité ? Pardon pour ma question abrupte ! Est-ce que cela ne crée pas en vous des questionnements ?! Qui suis-je ? Quelle vie avais-je ? Étais-je le même ? La même personne ? Le même comportement ? Le même caractère ?

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