Chapitre 33

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C'est idiot, les souvenirs ;
Ça s'invite sans qu'on y puisse rien,
et puis ça vous empoisonne.
Charlie Wat

°Ellaïa°

Il y a un an...

Sur ma table de chevet, mon réveil sonne pour la troisième ou la quatrième fois et je ne peux plus y échapper. Je roule dans mon lit pour éteindre la musique qui me donne mal au crâne avant de m'asseoir en massant mes tempes. J'ai encore une fois mal dormi, j'ai l'impression de revivre la même scène en boucle dans chaque rêve depuis quelques jours.

Le verre éclaté sur le sol, les cris et mon sang entre mes mains.

Je me lève et laisse mes pieds glisser sur le faux parquet froid de ma chambre jusqu'à ma fenêtre pour ouvrir les volets. Sans spécialement me presser, j'enfile mes vêtements d'hiver qui se trouvent sur la chaise de mon bureau.

Une fois mon sweat enfilé, je descends lourdement les escaliers et rejoins la cuisine. Ma mère s'y trouve et me salue joyeusement tout en déposant ma tasse de thé sur la table avant d'ajouter :

– Je t'ai déjà prévenue, mais ton père m'emmène au restaurant ce soir. Je t'ai préparé des pâtes carbonara, je sais que tu adores ça. Il y en a suffisamment pour deux, alors... Jordan pourrait venir à la maison.

Je me force à sourire pour remercier ma mère avant de lui dire que c'est une super idée. Une fois qu'elle se détourne pour ranger la confiture, je commence à fixer ma cuillère que je manipule nerveusement. Mon père surgit de la chambre, de la mousse à raser sur les joues et s'emporte :

– J'ai bien entendu ? Tu viens de proposer à notre fille d'inviter ce garçon ?

– Oui chéri, elle est grande, elle a dix-sept ans, et c'est un garçon adorable. En plus, je ne veux pas qu'elle reste seule : elle est blessée.

Instinctivement, je caresse ma cuisse sous la table même si ce simple geste m'élance, espérant inutilement faire disparaître la coupure et l'énorme bleu presque violet.

– C'est pas grand chose, maman. Je peux me soigner toute seule.

– Au moins, il t'empêchera de te blesser encore une fois ! se défend-elle.

Si seulement elle avait raison. J'adorerai que Jordan soit un chevalier servant, qu'il prenne les coups à ma place et qu'il s'en sorte indemne. Je suis sûre qu'il cicatrise plus vite que moi.

– Très bien... cède mon père. Ellaïa, il faut que tu fasses plus attention à toi. Certes tu es maladroite, mais ces derniers temps tu es complètement ailleurs et tu n'arrêtes pas de te faire mal.

Mon père a beau me sermonner, il s'approche de moi pour venir embrasser mon front et me serrer contre lui, laissant de la mousse dans mes cheveux. Il s'inquiète beaucoup trop, il est persuadé que Jordan est la cause de mes bêtises et il se méfie de lui.

– Tu commences à avoir des cicatrices. Ne détruis pas ton corps, ma chérie.

Sur ces mots, il retourne dans la salle de bain pour terminer ce qu'il a commencé alors que ma mère m'embrasse à son tour avant de quitter la maison. Maintenant seule, je peux jeter ce qu'il reste de mon petit déjeuner dans l'évier avant de monter les escaliers pour aller m'enfermer dans la salle de bain.

Respire.

Je me passe de l'eau sur le visage sans me regarder dans la glace. Je n'en ai pas besoin pour savoir que mon visage est pâle et que des cernes se sont installés sous mes yeux. Ce n'est pas étonnant que mon père s'inquiète.

Juste pour oublierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant