3 - Evan

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Je me doute que, comme d'habitude, Ludo va faire semblant de ne pas me connaître.

J'ai une très mauvaise réputation au lycée, principalement parce que je suis noir. Les gens ont de vrais « à priori » sur moi, et c'est vrai que ça en devient lourd. Heureusement que j'ai Léonor. Elle, au moins, elle ne cache pas d'être amie avec moi.

En soi, je ne reproche pas à Ludovic de ne pas traîner avec moi. Sincèrement, il a raison : il a pratiquement toutes les filles de seconde à ses pieds et il est pote avec tous les mecs. Ludo est musclé, il veut devenir pompier et il a des vêtements à la mode. Il est populaire et il en joue.

Ludo évite mon regard. Par contre, nos sœurs, elles, ne s'évitent pas, bien au contraire. Il commande ses glaces et, seulement dix secondes plus tard, Harmony va le voir. Elle demande :

– Ludo, est-ce que Juliette peut venir jouer à la maison ? S'il te plaît !

Il me jette un regard interrogateur. D'un geste du menton, je lui fais signe que c'est bon pour moi.

– Bien sûr ! Tiens, prends ta glace. On y va.

Alors nous nous mettons en chemin.

Nous sommes voisins, c'est d'ailleurs pour ça que Ju et Harmony sont devenues meilleures amies.

Une fois arrivés devant chez Ludovic, les filles courent à l'intérieur. Apparemment, Harmony a un truc super important à montrer à ma sœur... Pendant ce temps, Ludo et moi nous dirigeons vers sa chambre quand il s'interrompt, soudain mort de trouille.

– Oh non, je suis sûr que mes parents ont vu mon 0/20 d'hier. Je vais me faire dé-fon-cer.

Je suis mort de rire avant même d'avoir entendu sa mère.

– LUDOVIC LUCAS SATINELLI ! VIENS ICI TOUT DE SUITE !

Il me regarde d'un air désolé et s'en va en courant, ventre à terre. Je lui souhaite bonne chance. Connaissant sa mère, elle ne va pas faire semblant.

Je traverse la maison, monte à l'étage et entre dans sa chambre. Je vais l'attendre là.

La chambre de Ludo est assez grande et la fenêtre et la porte se font face. Le mur de la porte est rouge, et les trois autres gris. Ils sont ensevelis sous les posters et les affiches de pompiers que Ludo adore. Je sais que sa préférée est une affiche du Bataillon des Marins Pompiers de Marseille (BMPM) en train d'éteindre un feu. La photo est un noir et blanc mais les graphistes ont laissé en rouge les combinaisons des pompiers ainsi que les feux allumés.

Assis sur son lit, je ne vois pas Ludo arriver derrière moi.

– Privé de sortie, m'annonce-t-il d'un air désespéré. Mais il y a une soirée chez Emilien samedi prochain, je vais faire comment pour y aller moi ?

– Encore pendant deux semaines ? Elle est dure ta mère !

– J'y peux rien si je suis nul en français... Heureusement que c'est pas en maths ou en physique, sinon adieu les pompiers !

Il observe tristement la fenêtre.

– Et bah punaise, il fait hyper chaud aujourd'hui !

– Totalement d'accord. On a bien mérité une deuxième glace, tu penses pas ?

Nous nous lançons un regard complice avant de partir discrètement de la maison. Il ne faut surtout pas que les filles nous voient !

Une fois dehors, nous sommes pris d'un fou rire incontrôlable. Ludo part en courant et j'essaie tant bien que mal de le rattraper, avec mes petits jambes et mon souffle inexistant. J'ai beau faire de la gymnastique, la course n'est pas mon atout principal.

– Ludo, s'il te plaît, attends-moi !

Il semble réfléchir un instant puis repart dans un éclat de rire.

– Certainement pas ! Je vais arriver là-bas en premier et te narguer avec ma bonne glace.

Je sais que la situation est désespérée. Mon ami est loin devant moi mais je me rends soudain compte qu'il n'a pas d'argent sur lui...

– C'est moi qui ai les sous ! je lui lance de loin. Tu vas quand même devoir m'attendre !

Il soupire et s'arrête dans un dérapage contrôlé. Je le rejoins, le sourire aux lèvres, la tête haute, vainqueur.

– Alors, ça fait quoi de perdre aussi lamentablement, Ludo ?

Soupir de nouveau.

– Haha ! Tu n'avais qu'à m'attendre !

Je réfléchis en regardant sa mine déconfite puis me rappelle du glacier.

– C'est Antoine le fils du marchand de glace ?

– Oui, il bosse à la place de son père pendant les vacances. Pourquoi ?

– Oh, il m'a juste semblé le connaître, rien de plus.

En vérité, ce n'est pas tout à fait ça. Je savais bien que Antoine était le fils de monsieur Murillo, la question que je me posais, c'est quand travaillait-il au magasin.

– Et alors avec Célia, comment ça se passe ? je lui demande dans un ricanement. Toujours aucun scrupule à la traiter de « conquête » ?

– Roh, arrête avec ça, tu sais très bien que je l'aime quand même. C'est juste que... ça fait plus mec de dire ça, non ?

– Ça fait surtout macho, oui. Pas particulièrement attirant, si tu veux mon avis.

– Oh ben tiens, ça tombe bien, je n'en ai rien à faire ! réplique-t-il en riant.

Une heure, deux glaces et une quantité incalculable de rires plus tard, je rentre chez moi. En entrant dans la maison, je me dirige vers la cuisine pour m'attraper un grand verre d'eau fraîche avant de prendre la direction de ma chambre.

La Nature reprend ses droitsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant