42 - Evan

6 0 0
                                    

Quand nous rentrons de la balade dans Marseille, après avoir reçu quelques remontrances de la part de ma mère – auxquelles je n'ai d'ailleurs pas prêté attention, trop occupé à penser à ma joie d'avoir retrouvé Ludo –, nous commençons à mettre la table. Le grand-père de Léo regarde les infos à la télévision, comme à son habitude. Soudain, de la même manière qu'il y a quelques semaines, l'écran change brusquement pour afficher non pas le maire de Marseille, mais la tête du président français. Tout le monde se tourne vers la télé, surpris mais aussi curieux.

« Chères françaises, chers français, bonsoir. Je prends la parole aujourd'hui pour vous annoncer que la révolution naturelle est officiellement terminée. Les dirigeants de tous les autres pays et moi-même nous sommes réunis plusieurs fois et nous avons beaucoup débattu. Nous en sommes venus à la conclusion que si la Nature a décidé de se rebeller – parce que c'est bien de cela qu'il est question –, c'est pour une raison très claire et précise : les humains ne sont pas respectueux de l'environnement ou, du moins, pas assez. Sur ce sujet, je ne peux effectivement pas lui donner tort. »

– Monte le son ! intime la grand-mère de Léo à son mari, qui s'empresse d'obéir.

Tout le monde a maintenant les yeux rivés sur le petit écran.

« C'est pourquoi nous avons décidé de prendre des mesures radicales concernant notre vie future, reprend le président à l'antenne. Voici les mesures qui devront être prises dès à présent par chaque citoyen français et, je dirais même plus, chaque habitant de cette Terre. Nous ne voulons pas qu'une telle situation se reproduise à l'avenir. Nous devons prendre soin de notre planète si nous voulons que nos enfants, et leurs enfants à leur tour, puissent vivre dignement. »

Le président énonce ensuite une liste de mesures simples à prendre, comme par exemple trier ses déchets pour les recycler, manger de la nourriture bio et économiser l'eau et l'électricité ; des choses que la plupart des français faisaient déjà. Mais il nous a aussi ordonné de consommer moins de viande, d'acheter local et d'essayer d'avoir un composteur et un potager. « Cela nous créera à tout une conscience écologique, qui ne peut qu'être bénéfique. » a-t-il dit.

En entendant ça, mes parents sourient face à l'expression de ceux de Ludo, qui paraissent déboussolés.

– Comment est-on sensé savoir faire tout ça ? demande Julio.

Ma mère, ne se retenant plus, éclate de rire.

– Tu verras, Julio, c'est très simple. On t'apprendra.

Puis toute la maisonnée rit à sa suite de bon cœur.

Après le repas, quelqu'un sonne à la porte.

– Qui ça peut être ? demande Léo dans un murmure.

– Je parierais sur Yannis, je réponds avec un sourire.

– Yannis ? répète Ludo sans comprendre.

Sans prendre attention à sa question, je me lève pour aller ouvrir.

En effet, sur le seuil se tiennent Yannis, son petit frère Ethan et leur mère Aziza. Je les laisse entrer sans attendre.

– Nous revoilà, lance Aziza dans le silence qui s'ensuit avec un sourire gêné.

Voyant que personne n'a l'air de vouloir faire les présentations, je me lance :

– Yannis, Ethan, Aziza, je vous présente Ludo, Harmony et leurs parents Julio et Céline.

Le père de Ludo fait un léger signe de tête en guise de salut, contrairement à sa mère qui se précipite sur Aziza pour lui faire la bise.

– Ravie de faire votre connaissance ! s'exclame-t-elle quand elle a enfin relâché Aziza. Puis-je vous demander pourquoi vous êtes ici alors que je ne vous connais pas ?

Chez n'importe qui, cette question aurait eu l'aire froide ou menaçante, mais dans la bouche de Céline, elle est juste joyeuse et accueillante. La mère de Ludo veut simplement savoir pourquoi Yannis et sa famille sont ici, et Aziza répond aussitôt :

– J'ai eu une relation, disons... compliquées avec mon ex-conjoint. Les grands-parents de Léonor ont gentiment accepté de nous héberger, mes fils et moi, le temps que ça se règle ou, dans le cas contraire, que nous trouvions un nouvel appartement. D'ailleurs, ajoute-t-elle en se tournant vers nous, on est allés porter plainte aujourd'hui.

– Super ! s'écrie Léo en applaudissant. Je suis contente que vous l'ayez fait.

– Oh, arrête de me vouvoyer, la réprimande Aziza en souriant.

– Donc les policiers ont dit quoi ? intervient ma mère.

– D'abord ils ont été surpris que quelqu'un vienne pour ça alors que, selon eux, il y a des choses "beaucoup plus graves qui s'passent en c'moment, ma p'tite dame". Du coup, Yannis leur a répondu, pour rapporter ses paroles dans les grandes lignes, que si la sécurité d'une femme et de ses enfants n'était pas grave, alors il ne voyait pas ce qui pourrait l'être. Puis il les a grosso modo traités d'imbéciles.

Yannis prend une teinte rouge vif sous le regard bienveillant de sa mère. Moi, je me contente d'éclater de rire. Je ne pensais pas que Yannis oserait faire ça. Et bien si. Je lui fais un clin d'œil.

– Grâce à mon fils merveilleux, reprend Aziza avec un sourire, on a dû changer de commissariat, parce que les policiers n'étaient pas très enclins à nous écouter suite à ce petit désagrément.

– Mais maman, intervient Yannis, ils ont dit que ce signalement ne méritait pas leur attention ! Tu te rends compte ? Des femmes et des enfants peuvent se faire frapper sans qu'ils lèvent le petit doigt !

– Tu as eu raison, Yannis, je ne dis pas le contraire, le rassure sa mère. J'explique simplement ce qu'il s'est passé, et ta gentille répartie.

Son regard se fait malicieux.

– Nous avons donc été obligés de changer de commissariat, et nous sommes tombés sur une cheffe de police absolument adorable, qui a bien pesté contre Walid, d'ailleurs... Walid, mon ex-conjoint, explique-t-elle devant les regards d'incompréhension du public.

Je crois que je suis le seul à avoir vu le sourire triste de Yannis.

– La policière a pris notre signalement et nous a dit qu'elle nous recontacterait ultérieurement, mais elle nous a assuré qu'elle essaierait de faire passer notre dossier en priorité.

– Elle a dit que papa irait peut-être en prison, dit alors Ethan d'une petite voix.

Sa mère se penche et le prend dans ses bras.

– S'il y va, c'est parce qu'il nous a fait du mal. Tu te souviens ? Il nous a frappés.

Voyant que ça n'a pas l'air de rendre plus heureux, elle ajoute :

– Mais on ira le voir, si tu veux. Il sera content si vous lui rendez visite, Yannis et toi.

Ethan a maintenant un grand sourire plaqué sur le visage, contrairement à son frère qui a plutôt l'air d'avoir envie de vomir. Mais Ethan ne se rend pas vraiment compte de la gravité de la situation. Pour lui, Walid est son père, peu importe ce qu'il fasse. Et je pense aussi, même si ça ne m'enchante pas, qu'il a fini par s'habituer à la violence.

– Eh bien, fêtons ça autour d'un verre ! lance alors la grand-mère de Léo, le visage rayonnant de joie. La Nature a arrêté de tout détruire et votre ex-conjoint va peut-être être enfin puni pour ses crimes. Il y a de quoi se réjouir, non ?

Aziza hoche la tête avec un grand sourire.

La Nature reprend ses droitsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant