29 - Ludo

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La tête posée contre la vitre, j'observe les rues toulousaines dans la nuit. L'intervention qu'on vient de faire n'a laissé personne indifférent. Quand je pense qu'à l'aller, Jules se trouvait juste derrière moi, je me doute que lui non plus ne pensait pas que ce serait sa dernière intervention.

Le bruit de la pluie me ramène à la réalité, nous sommes arrivés. L'ambiance est lourde à la caserne. N'en pouvant plus, je sors prendre l'air. Je vois un vélib abandonné sur le trottoir d'en face. Je décide d'aller faire un tour, pour m'éloigner, m'échapper de cette tristesse qui a envahit la caserne. Je pédale, je ne sais pas où je vais, je fends le vent, la pluie me mouille. Lorsque je m'arrête, je m'aperçois que je fais face à l'immeuble de Virginie et Léane. Ma première réaction est de me dire que je vais rentrer pour revoir ma sœur, puis je me rappelle de l'heure. Alors je fais demi-tour et rejoins la caserne.

Avec la musique dans les oreilles, j'oublie les morts, la tristesse dans les yeux des proches. Je vois juste les briques rouges défiler autour de moi, je sens juste le vent et la pluie sur mes mains et mon visage. J'adore mon métier mais c'est dans ces moments qu'on prends conscience de la vraie difficulté que cela représente. Mais aussi pourquoi les exigences sont aussi rigoureuses. Tellement la musique me transporte ailleurs, enfin plutôt à Marseille, j'en oublie presque la raison de la tristesse de mon équipe. Mais je suis très vite ramené sur terre lorsque je passe le pavillon de la porte. Alors j'attrape un paquet de chips et vais dans le dortoir.

Plus tard, je me fais réveiller par Raph' qui me dit :

– Mec, c'est l'heure ?

– L'heure de... ? je réponds, encore à moitié endormi.

– L'heure des funérailles !

– Fais chier...

– T'es obligé de venir ! Tu fais partie de l'équipe ! Viens nous soutenir, au moins...

Il finit sa phrase avec une moue triste.

– OK... go !

– Je t'ai apporté l'uniforme de cérémonie, je l'ai mis sur mon li. Et va te doucher, tu pues ! conclut-il en souriant.

Puis il me laisse en fermant la porte derrière lui.

Je me lève, je vois l'uniforme posé. Je l'attrape et m'enferme dans la salle de bain. L'eau chaude emporte avec elle mes larmes, ma haine et les horreurs auxquelles j'ai assisté.

Une fois ma douche terminée, je m'habille et je me coiffe, enfin tout est relatif, je passe seulement un coup de peigne dans mes cheveux et sors. Dans la chambre, je retrouve Clémentine. Elle me sort :

– On a failli t'attendre, une vraie fille, dit-elle avec un sourire.

Nous sortons et nous rejoignons les autres dans la cuisine. En me voyant entrer, Raph' m'envoie un sandwich que j'attrape au vol. Puis il me dit :

– Tu le mangeras en route !

Toute l'équipe sort alors, et se dirige vers les camions. Je monte avec Raph', Clem' et Maya dans le Fourgon, Alex et Louca prennent le VSAV.

Je croque dans le sandwich que Raphaël m'a aimablement confectionné car j'ai une faim de loup, quand je tombe sur un piment. Je deviens rouge et supplie Clém' de me passer la bouteille. Celle-ci me répond d'un ton blagueur :

– T'aime bien ma surprise ?

Rire général.

– On peut dire que ça pique, je réponds, la bouche en feu.

Nous arrivons sur les lieux des funérailles avec les larmes aux yeux à force d'avoir trop rigolé. Mais le sérieux et le silence reviennent dès que le moteur du Fourgon s'arrête.

Il y a une dizaine de tombes alignées, le président du Service de Secours et d'Incendie est présent derrière son pupitre. Sur toutes les tombes, je n'ai connu que trois visages, ce qui est déjà beaucoup trop.

Nous nous mettons face aux tombes, nous sommes au rang et nous attendons les ordres de notre chef de caserne. Car il est déjà arrivé avec le reste de la caserne. Toutes les casernes de Toulouse sont présentes. Puis les chefs des différentes casernes crient en cœur :

– Garde à vous !

Nous nous exécutons immédiatement et en même temps, sous les yeux tristes des proches des défunts.

La Marseillaise apparaît alors, dans les enceintes accrochées sur le bâtiment de la mairie. Durant la chanson, je me rappelle du peu de souvenirs que je partage avec les morts. Je me souviens de la fête des seize ans de Jules, je me rappelle de la complicité d'Alex et Jonathan, le vert des yeux d'Emy. Ces personnes que j'ai pu côtoyer sont morts en héros et ils apparaîtront pour toujours sur la liste de la caserne.

Après l'interminable et ennuyeux discours du maire, le président du SDIS commence à son tour un long discours d'hommage.

Dans le public, j'aperçois des yeux vert, comme ceux d'Emy, et un petit gars s'avance. Il me fixe, je le fixe. Je remarque des larmes dans ses yeux. Je me dis qu'il me déteste, mais j'aimerais tellement lui dire que sa sœur est morte en héroïne. Mais je peux car déjà notre chef de caserne s'avance et dit :

– Repos.

Il passe serrer la main à chacun d'entre nous en nous chuchotant : "Courage".

Une fois l'apéro dînatoire terminé, nous décidons de rentrer à la caserne. Nous passons le reste de la journée à jouer à la play pour oublier ce matin. Je suis content car je vais retrouver ma Harmo après une garde de 72h, elle me manque ! Alors vers dix-neuf heure, je lance :

– Bon les gars, j'vous aime bien mais ma sœur m'attend !

– Ouais, à plus ! me lance Clem'.

– C'est ça, dégage, répond Raph' en souriant.

Je me dirige ensuite vers les vestiaire pour me changer. Je referme mon casier. Enfin un weekend bien mérité !

Mais en sortant, je constate qu'il est impossible de rentrer à cause des plantes. Ma sœur devra attendre.

Les plantes ont envahit l'espace, les lianes pendent des fenêtres, les racines des arbres voisins sortent de la terre. Et tous les insectes ont triplé de volume. Une seule solution me vient à l'esprit : rester à l'intérieur !

Je rentre et referme la porte à double tour derrière moi. 

La Nature reprend ses droitsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant