23 - Evan

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Ça fait déjà deux jours que mes parents et moi sommes installés dans le gymnase. J'ai pu retrouver Emilien. Il est installé à l'autre bout de la salle mais on arrive facilement à se rejoindre en dehors. J'ai aussi revu les garçons qui étaient là à notre arrivée. Il font souvent du skate ou du foot dans la rue. Hier, alors qu'Emilien et moi les regardions de loin, l'un deux nous a fait signe de les rejoindre. Un gars sympa, qui s'appelle Samuel il me semble. Ses amis et lui nous ont proposé un tournoi de foot mais, connaissant Emilien, j'ai refusé. Je sais qu'il n'aime pas vraiment ce sport. Lui, il fait de l'escrime et, à vrai dire, il est plutôt doué. Nous sommes donc rentrés au gymnase en les remerciant poliment.

Ici, j'ai l'impression que le temps s'écoule à une vitesse cent fois inférieure à celle de d'habitude. J'ai l'impression que nous vivons là depuis trois semaines. J'ai l'impression que ça fait 1000 ans que je n'ai pas vu Ludo.

Aujourd'hui, les parents d'Emilien lui ont demandé de les aider à faire je ne sais quoi. Je me retrouve donc à marcher seul aux abords de la salle de gym. J'ai bien envoyé un message à Léonor pour savoir si elle était dispo, mais elle m'a dit que ses parents la gardaient elle aussi à la maison. Alors je suis seul. Définitivement seul.

Au coin de la rue, écouteurs dans les oreilles, je croise à nouveau le groupe de gars d'hier. Je me dis qu'ils ne m'ont pas remarqué quand l'un d'eux s'approche. J'enlève alors un écouteur pour entendre ce qu'il dit :

– Bah alors, t'as plus de potes ?

Son ton est joueur. Il se moque de moi, et j'avoue que je dois faire pitié à marcher comme ça, l'air déprimé.

– Bon, tu veux le faire, ce tournoi de foot ? demande-t-il, plus sérieusement cette fois.

Je hoche la tête, content d'avoir trouvé quelqu'un avec qui rester. C'est que je n'y croyais pas trop : d'ordinaire, je suis assez réservé, pour ne pas dire franchement timide.

Il me sourit puis tourne les talons, se dirigeant vers le groupe.

– Les mecs, je vous présente...

– Evan, je complète en faisant une révérence.

– Moi c'est Yannis, enchanté, continue mon interlocuteur en me tendant la main.

– Ravi de faire votre connaissance, mon cher, dis-je en la serrant avec force.

Le groupe éclate de rire.

Après un tournoi de foot acharné (durant lequel mon équipe a gagné, je tiens à le préciser), les garçons rentrent tous chez eux. Ils habitent le quartier. Comme mes parents ne m'ont pas donné de limite horaire pour rentrer, Yannis propose de me faire visiter l'endroit. J'habite près de la mer et, en 10 ans à Marseille, je ne suis jamais venu ici.

– T'es originaire d'où ? demande soudain Yannis, curieux.

– Du Niger. J'ai déménagé ici quand j'avais 5 ans. Enfin, j'ai traversé la Méditerranée sur un bateau pourri sur lequel j'ai failli crever pour arriver ici à 5 ans, je corrige.

Mon camarade me jette un regard impressionné.

– Et toi ?

– Mes parents sont tous les deux algériens. Ils sont venus en France à peu près au même âge que toi, il me semble.

Tout en parlant, je remarque que nous avons déambulé dans les rues marseillaises.

– M'emmène pas trop loin quand même, faut que je puisse rentrer après ! je dis en plaisantant.

– T'inquiète, je gère !

Nous rigolons.

– Tu connais Loan ? je demande, hésitant.

– C'est un de mes meilleurs potes, oui. En plus c'est dieu en gym ! s'exclame Yannis. Pourquoi, tu le connais aussi ?

– Je fais de la gym avec lui. Enfin, je faisais, dis-je en observant tristement les rues. J'étais là quand il s'est cassé le coude, j'ajoute avec un air triste. Ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu.

– A priori, il va toujours bien, me rassure mon ami dans un sourire. Ah, tiens, nous voilà devant chez moi !

Je tourne la tête et vois une maison assez semblable à la nôtre, bien qu'un peu plus petite. Yannis envoie le ballon de foot devant la porte d'entrée.

– Viens, j'ai encore le temps, on peut continuer le tour du quartier.

J'acquiesce.

Un peu plus loin, Yannis s'arrête de nouveau.

– Et là, c'est chez Sam.

Samuel, celui qui nous a proposé de jouer avec lui, à Emilien et moi, hier matin. Je me rappelle.

– Il a une petite sœur, Camille. Elle est adorable. Pas comme mes frères, termine-t-il, déprimé.

– Tu as combien de frères ?

– Deux. 12 et 17 ans. Le grand me rappelle tous les jours que je suis pas assez fort ni viril pour être un homme, et l'autre ne fait que répéter les conneries du premier. Et mes parents, c'est pas mieux. Heureusement que j'ai des amis qui m'apprécient pour qui je suis... enfin, je crois.

Il soupire. J'admets que je n'aimerais pas être à sa place. Je me sens encore moins dans le cliché de l'homme populaire que lui. C'est une famille pour Ludo, ça.

Je lui jette alors un regard en coin avec un sourire, dans l'espoir de lui faire retrouver sa joie. Il me sourit en retour.

Nous faisons alors demi tour pour que je le raccompagne chez lui. La nuit commence à tomber, il ne faudrait pas qu'il se fasse engueuler pour être rentré trop tard. Moi, à priori, je ne risque rien. Je lui fais un signe de la main puis je repars en direction du gymnase.

Sur le chemin, mes écouteurs crachent les paroles de Bigflo & Oli avec force dans mes oreilles. Cette chanson me rappelle Ludo, je sais qu'il en est aussi fan que moi. L'un des deux rappeurs raconte qu'il est en train de mourir, de couler tout au fond de la mer. Sur le même trajet que j'ai fait 10 ans auparavant. J'en ai des frissons. Soudain, il dit "Les hommes sont capables de merveilles et des pires folies." J'en viendrais presque à penser qu'il est visionnaire et qu'il a vu ce que notre planète allait devenir, et surtout à cause de qui. Cet album est sorti il y a 2 ans déjà.

Je sais bien que c'est de notre faute si la Terre part en vrille, si les arbres se révoltent, si tout s'effondre autour de nous. Nous n'avons que ce que nous méritons, après tout.

Juste avant d'entrer dans le gymnase, je reçois un message de Yannis :

« Au fait, demain soir y'a une soirée chez un de mes potes, tu veux venir ? »

La Nature reprend ses droitsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant