18 - Evan

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Le lendemain matin, ce n'est pas ma soeur ni mon chat qui vient me réveiller, mais le vent qui souffle dehors. Il fait un bruit tel que j'ai l'impression que la maison va s'envoler.

Je sors précipitamment de mon lit et descend les escaliers à toute vitesse avant de débouler dans la cuisine comme une furie :

– Qu'est-ce qu'il se passe dehors ?

Je remarque alors que toute ma famille est déjà rassemblée autour de la table, attablée devant un bon petit déjeuner.

– On ne sait pas trop, répond mon père, inquiet lui aussi. Mais on a reçu des instructions très strictes ces derniers jours au travail : si ça vire à la catastrophe, on dégage.

Ma mère lui adresse un regard noir. Je comprends alors avec amusement qu'elle lui reproche de parler de façon vulgaire devant mes sœurs. Mon père allume alors la télévision, sur une chaîne locale marseillaise. On découvre des vagues des plusieurs mètres de haut qui menacent de s'écraser sur la côte. Je pense immédiatement à Emilien, qui habite près du vieux port. J'espère qu'ils ont quitté leur maison.

Soudain, le présentateur apparaît sur l'écran du téléviseur. Il indique qu'une annonce spéciale du maire de Marseille va arriver, et demande à tous les habitants de garder leur calme. Je devine vite que l'annonce dont il parle n'est sûrement pas une bonne nouvelle. Puis le maire prend place sur la télé :

« Chers habitants de Marseille, je suis au regret de vous annoncer que les catastrophes naturelles s'enchaînent de plus en plus vite. Nous ne sommes plus en sécurité chez nous, surtout près de la mer qui est maintenant extrêmement dangereuse. Je vous invite dès à présent à faire vos bagages et à partir vers le nord de Marseille. Les concernés sont les suivants.

Sur ces mots, une carte s'affiche sur l'écran, désignant les différentes zones en danger, dont l'endroit où nous habitons. Puis le maire reprend :

– Des gymnases seront mobilisés pour vous accueillir durant la nuit, des restaurant et des supermarchés vous offriront de quoi vous nourrir, et la mairie apportera des couvertures. »

Mon père se tourne vers nous, laissant le maire parler dans le vide.

– Montez faire vos bagages, les enfants. Nous partons dans la journée.

Je remarque que son regard est douloureux. Cette maison a été notre refuge après le voyage du Niger jusqu'à Marseille. Il ne veut pas l'abandonner. J'adresse un sourire bienveillant à mon père puis monte dans ma chambre préparer ma valise pour les prochains jours.

Une fois en haut, je sors une valise du placard et me dirige vers mon armoire. Je choisis en vitesse quelques vêtements au hasard, ce n'est pas ma priorité. Dès que j'ai terminé, je contemple les murs de la chambre. Je pose un regard douloureux sur chacun des posters, chacune des photos accrochées. Je ne pourrai pas tout emmener.

Je décide de prendre la carte du Niger et l'affiche d'Alex Augis. Puis je me penche sur les photos. Il y en a avec mes parents et mes sœurs, d'autres avec ma famille restée au Niger. Ils sont sûrement morts à l'heure qu'il est. Je repense à mes grands-parents, qui me gardaient quand mes parents faisaient une soirée à deux. Ils me manquent. Dire que mes sœurs ne les ont pas connus...

Je parcours le mur du regard, à la recherche d'autres souvenirs. Ici, un groupe de photos avec Ludo, Emilien et Léonor. J'en détache quelques unes. Puis je tombe sur une sur laquelle je pose seulement avec Ludo, bras autour des épaules. Je suis forcé de l'avouer, il me manque. Il a été mon premier ami ici, c'est normal. Et puis, même si je vois encore Léo et Emilien, il y a comme un vide. Comme si, à chaque fois que l'on se retrouvait sans lui, la Nature voulait nous rappeler qu'il n'est plus là. Je glisse les photos dans mon sac en me reprenant. Je parle de lui comme s'il était mort ! Or, ce n'est pas le cas. Enfin, j'espère...

Nous sommes tous les cinq dans la voiture, en route pour les quartiers nord de la ville. Juliette me regarde, des larmes au coin des yeux. Je suis souris, dans l'espoir de la rassurer, mais je crois que mon espoir est vain. Luna, au contraire, affiche une mine réjouie. Je crois qu'elle ne mesure pas la gravité de la situation.

Après quelques minutes de trajet, mon père freine brusquement. Je manque de me cogner la tête dans le siège devant moi.

– Papa, pourquoi t'as freiné aussi fort ? demande Ju', inquiète.

– Oh... ce n'est rien ma chérie, seulement un chat qui passait, répond-il d'un air préoccupé.

Mais lorsqu'il fait demi tour pour prendre une autre route, je vois un arbre, couché de tout son long derrière nous.

Une vingtaine de minutes plus tard, mon père se gare face au gymnase dans lequel je m'entraîne. Je me demande un instant si je peux revoir Loan, avant de me reprendre. Même s'il était là, je pense qu'il a mieux à faire que de venir me dire bonjour. Lui aussi a une famille, et d'autres amis.

Pendant le trajet, j'ai envoyé un message à Léo et à Emilien pour avoir des nouvelles. Mon amie m'a dit qu'eux aussi allaient déménager, mais pas ici. Enfin du moins, pas exactement là. Les grands-parents de Léonor n'habitent pas loin, je pourrai donc encore la voir. Quant à Emilien, ils sont partis hier soir. Je vois déjà des dizaines de personnes qui entrent dans le gymnase. J'espère que je vais réussir à le retrouver dans la foule.

Ma mère sort de la voiture et claque la portière. Elle me demande de prendre les valises, dans le coffre. Je les récupère puis les suit, elle et mes sœurs, à l'intérieur, pendant que mon père va voir à l'accueil comment fonctionne l'organisation ici.

Juste avant d'entrer, j'entends des cris et des rires. Je tourne la tête et vois un garçon qui doit avoir mon âge. Il fait du skate avec ses amis dans la rue. Ces derniers lui demandent quelque chose, je ne sais pas exactement quoi, je n'entends pas bien d'ici, mais il ne leur répond pas. Son regard s'accroche au mien, tandis que je m'avance vers la porte. Je vois qu'il détourne la tête puis j'entre enfin dans le gymnase.

La Nature reprend ses droitsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant