38 - Evan

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Dès que j'ai raccroché, je suis allé tout raconter à ma mère au sujet de Yannis. Elle m'a dit qu'elle ne le connaissait pas mais que, si je lui faisais confiance, elle aussi. Puis elle en a parlé à tout le monde à table, au dîner. Et tous les adultes se sont accordés à dire que ce n'était pas normal, et qu'il fallait faire quelque chose pour eux.

J'en ai parlé à Yannis par message, et quand on s'est rappelés, avec cette fois Léonor et Emilien avec moi, il a annoncé qu'il avait dit à sa mère qu'on était d'accord pour les aider. Apparemment, elle a d'abord refusé avant que Yannis lui rappelle que son père avait menacé de s'en prendre à Ethan, et c'est ça qui l'a décidée. Elle a finalement accepté notre aide.

Nous voici donc deux jours plus tard dans les rues de Marseille, avec Léo et Emilien, comme d'habitude, pour contempler ce qui reste de l'apocalypse.

C'est une catastrophe.

Les arbres sont toujours debout mais de larges fissures sont apparues dans la terre et dans le goudron, certaines maisons sont en ruines, à l'abandon, il y a des cadavres au sol et de la nourriture en putréfaction.

C'est tout simplement horrible.

Dire que nous aussi, on aurait pu y passer...

Après avoir parcouru quelques rues, nous arrivons devant le gymnase marseillais. Heureusement, mise à part la partie qui a été détruite le jour où l'on s'est installés chez les grands-parents de Léo, il tient encore debout. Il y a toujours des gens à l'intérieur, et la plupart ont l'air en bonne santé. Mais je sais aussi que de nombreuses personnes ont été malades, comme le bébé de la dame pour qui nous avons fait les courses il y a deux semaines, et une bonne partie ne s'en est pas sortie. Ça me désole. Mais je suis tellement soulagé que ça ne soit pas arrivé à Ludo, malgré tous les risques qu'il prend avec les pompiers de Toulouse...

Puis, comme un héros sorti de l'apocalypse, je vois arriver Yannis devant nous, un demi sourire aux lèvres. Il a l'air terriblement triste, mais aussi infiniment reconnaissant. Quand il arrive face à moi, je l'interroge :

– Alors, vous avez réussi ?

Je n'en dis pas plus, mais je sais qu'il a compris.

L'autre soir, nous avons mis au point un plan pour les faire sortir tous les trois de la maison en même temps, Yannis, Aziza, sa mère, et Ethan, sans que son père ne se doute de rien. Yannis devait prétexter sortir un peu avec des potes, nous en l'occurrence. Et, en même temps, ce n'est pas complètement faux. Nous allons bien nous promener jusqu'au supermarché où nous attendent Ethan et Aziza. C'était ça leur prétexte, à eux. Faire les courses.

En chemin pour le supermarché, nous passons à nouveau devant la maison de la dame au bébé malade. Léo, ne pouvant s'en empêcher, décide de toquer à la porte. La dame, l'air épuisée et ravagée par le chagrin, ouvre la porte au bout de quelques instants. Ses yeux sont rouges et gonflés, et sa lèvre tremble.

– Qui êtes-vous ? demande-t-elle d'une voix brisée. Que me voulez-vous ?

– Bonjour madame, la salue Léo d'une voix douce. Nous sommes les ados qui avons fait les courses pour vous, il y a quelques temps. Vous vous souvenez de nous ?

La femme ouvre alors les yeux entièrement, nous regardant avec une lueur de gratitude dans le regard.

– On voulait savoir comment vous alliez, vous et votre bébé, reprend Léo dans un murmure.

A ces mots, la dame éclate en sanglots et tombe dans les bras de Léo. Cette dernière tourne la tête et me jette un regard affolé, ce qui me fait rire. Mais je me reprends vite. Si la femme est dans cet état, ce n'est sûrement pas grâce à une bonne nouvelle.

– Robin... sanglote la femme en tombant à genoux. Il est... il est...

Robin doit être son bébé. Et si elle n'arrive pas à finir sa phrase, je ne vais pas le faire à sa place.

– Ça... ça va aller, madame, tente faiblement Léo en lui tapotant l'épaule maladroitement. Je suis désolée. Ça va aller.

Puis elle l'aide à se relever et la raccompagne chez elle.

Quelques minutes plus tard, elle ressort de la maison avec un visage las que je ne lui connais pas.

– C'est horrible, nous avoue-t-elle alors que nous reprenons notre chemin. Elle était effondrée. Son fils est mort il y a peu de temps, il est encore dans son lit.

Puis elle a un frisson.

– Elle est complètement bouleversée, et elle n'arrivera pas à s'en remettre seule. Si son mari ne rentre pas bientôt, je ne donne pas cher de sa peau.

Je soupire. Combien de vies, en plus de celles qu'elle a prises, la Nature a-t-elle brisées ainsi ?

Le chemin se poursuit dans un silence tendu.

Peu après, nous arrivons enfin en vue du supermarché. Nous entrons puis partons à la recherche d'Aziza et d'Ethan dans les rayons.

Nous finissons par la trouver en grande conversation avec une autre dame, une de ses amies visiblement. Elle est en larmes, elle aussi.

– C'est la mère de Samuel, chuchote Yannis d'une voix brisée, de telle sorte que seuls Léo, Emilien et moi pouvons l'entendre.

Samuel est mort peu après la fête qu'il a organisée chez lui. Yannis était atterré, et il l'est toujours, apparemment. Je n'ose même pas imaginer comment je réagirais, moi, si Ludo ou quiconque d'autre mourrait de cette façon. Écrasé sous un arbre, ou trop faible à cause d'une maladie inconnue.

En nous voyant arriver, la mère de Samuel a un dernier regard pour Aziza puis elle tourne les talons et s'éloigne dans les rayons.

– Bonjour, commence la mère de Yannis à voix basse. Comment allez-vous ?

– Bien madame, merci, répond Emilien de son ton le plus poli. Et vous ?

– Ça pourrait aller mieux, avoue Aziza pour toute réponse. Vous pensez que l'on peut y aller ? ajoute-t-elle d'un ton inquiet.

Je hoche la tête d'un air résolu.

– Oui, suivez-nous. Les grands-parents de Léonor ont dit qu'ils seraient ravis de vous accueillir, dis-je avec un sourire.

Aziza me sourit en réponse. Puis nous nous dirigeons tous ensemble vers la sortie du magasin, en passant par l'étape de la caisse. La mère de Yannis insiste pour acheter quelques paquets de pâtes en guise de remerciements.

– Il faudra vraiment que vous alliez porter plainte, madame, dit alors timidement Léo une fois que nous sommes dehors.

Le regard d'Aziza s'assombrit.

La Nature reprend ses droitsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant