32 - Evan

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Quelques heures plus tard, mes parents, mes sœurs et moi retrouvons Emilien, lui aussi avec sa famille, dans la rue qui borde le gymnase. Tout le monde à l'air un peu secoué mais, à part mon père qui a le bras cassé, nous allons bien.

– C'est quand même incroyable, un arbre immense qui s'écrase sur le seul bâtiment de Marseille qui loge autant de monde, marmonne le père d'Emilien.

– Tu sais, Thierry, je commence à croire que toutes ces histoires que racontaient ma mère sont bel et bien vraies, lui répond sa femme. Je veux dire, elle croyait en la Nature avec un grand N, qui aurait une pensée qui lui est propre et qui va finir par se rebeller, à cause de nous.

Je jette un rapide coup d'œil à Emilien : il a la tête baissée et le visage triste.

– Vous croyez, Anna, que la Nature, comme disait votre mère, est libre de penser par elle-même ? intervient mon père, perplexe.

– En ce moment, chéri, je pense qu'il y a un bon nombre de phénomènes étranges qui montrent que Nona ait eu raison de son vivant, dit ma mère à son tour.

Silence. Puis, jetant un nouveau regard vers Emilien, je commence :

– A vrai dire... Ludo, Emilien, Léo et moi, on a cherché sur Internet des informations qui pourraient prouver ce que Nona disait. Et...

Emilien me fusille du regard mais je n'en tiens pas compte.

– Vous avez trouvez quelque chose qui indiquerait qu'elle ait eu raison ? demande soudain Anna, la mère d'Emilien, curieuse.

– On, enfin Ludo, a trouvé une maladie qui lui correspondrait. Et puis...

– Oh, me coupe le père d'Emilien.

Je vois au visage des adultes qu'ils sont déçus de cette réponse.

– J'ai toujours dit qu'elle était un peu folle, tu sais, dit doucement Thierry en regardant sa femme.

– Elle n'était pas folle ! s'exclame soudain Emilien.

Puis il tourne les talons et part en courant dos au gymnase.

– Oh, répète Thierry. Euh...

– J'y vais, je lui dis avant de me lancer sur les pas de son fils.

Je traverse la rue et, à l'angle, je le vois qui court à en perdre haleine.

– Emilien, attends !

Il ne s'arrête pas pour autant, et je me rends alors compte qu'il se dirige vers la maison des grands-parents de Léo. N'espérant plus l'arrêter, je me résigne et le suis dans les rues de Marseille.

Après plusieurs minutes de course effrénée, j'arrive enfin face à la maison proprette que nous avons quittée seulement quelques heures auparavant. Pourquoi a-t-il voulu revenir là, mystère. En tout cas, je le vois s'arrêter devant le portail. Il approche sa main de la sonnette mais il hésite. Ça me suffit pour avoir le temps de le rattraper et de me mettre face à lui.

– Qu'est-ce qui t'as pris ? je demande gentiment.

Je le connais depuis plusieurs années maintenant et je sais que la colère et l'agressivité de marchent pas sur lui. Quand il est dans cet état, il vaut mieux le laisser se calmer de lui-même et y aller doucement.

– Tu l'as entendu, il a traité Nona de folle. DE FOLLE !

– Je sais bien, Nona était tout sauf folle. D'ailleurs, même s'ils ne nous ont pas cru, je pense sincèrement qu'elle avait raison. Les humains se sont foutu de la gueule de la Nature, ils en paient maintenant le prix.

Je vois alors son expression changer du tout au tout.

– Alors, reprend-il, hésitant, tu la croyais vraiment ? Ce n'était pas juste pour la discréditer que tu as dit ça devant mes parents ?

– Bien sûr que non ! Je comptais leur expliquer la suite quand tu t'es mis à courir comme un dératé. J'allais pas te laisser seul, quand même ! je réponds, indigné.

Emilien paraît d'abord soulagé, puis un peu honteux.

– Excuse-moi. Je n'aurais pas dû partir comme ça.

– T'inquiète. Mais pourquoi est-ce que t'es revenu là, au juste ?

– Je... je sais pas trop. Je me suis dit que Léo pourrait peut-être... non, en fait, j'en sais vraiment rien.

– Tu m'exaspère, dis-je en rigolant.

Emilien éclate de rire à son tour.

– Enfin, maintenant qu'on est là, autant entrer.

Je sonne. C'est Léonor qui vient nous ouvrir.

– Qu'est-ce que vous faites là ? demande-t-elle, surprise.

Je fais un signe de tête vers Emilien, puis elle lève les yeux au ciel.

– Allez, entrez. Mes grands-parents vous avaient dit de revenir le plus tôt possible, mais je ne crois pas qu'ils en espéraient tant, rit-elle.

Une fois à l'intérieur, je vois le grand-père de Léo avachi sur le canapé, en train de regarder une émission de cuisine. Soudain, il y a un flash et le visage du maire de Marseille apparaît sur le petit écran plat.

– Qu'est-ce que... grogne le vieil homme.

Le maire se met alors à parler :

« Chères citoyennes, chers citoyens, chers habitants de Marseille, bonsoir. J'ai de nouvelles informations à vous faire parvenir suite aux récentes catastrophes ayant eu lieu ces derniers jours, dont la dernière en date est très certainement la chute d'un arbre sur le gymnase municipal qui logeait plus d'une centaine de personnes. Notre président a donc fait le choix de prévoir des lieux suffisamment "solides", dirais-je, pour accueillir un bon nombre de personnes et tenter de les protéger durant cette période trouble. Aussi, à partir de ce soir, je demanderais à tout habitant de la ville de Marseille et ses alentours, de ne plus sortir sauf urgences, c'est-à-dire faire les courses pour ceux qui décident de rester chez eux, ou aller travailler pour toutes les personnes mobilisées, à savoir les pompiers, infirmiers, caissiers dans les supermarchés, etc. - en somme, tous ceux exerçant une profession indispensable à la continuité de la vie. Le ministre de l'éducation nous fait également savoir que les établissements scolaires vont fermer provisoirement dès lundi, bien qu'à l'heure actuelle, beaucoup d'entre vous ne sont déjà plus scolarisés, ce que je comprends parfaitement.

« Bien entendu, toutes ces mesures sont prises dans le but de protéger les populations, de vous protéger, vous, citoyens marseillais, de la catastrophe naturelle actuelle. Moins vous sortirez, moins vous aurez de chances de mourir dans d'atroces souffrances.

« Merci à tous de m'avoir écouté si attentivement, et... »

Mais le maire n'a pas le temps de finir sa phrase. La télévision s'est éteinte. Je regarde le grand-père de Léo, mais ce n'est pas lui. Je remarque alors que la seule lumière allumée s'est elle aussi éteinte.

Arrivée à la même conclusion que moi, Léo se précipite vers l'interrupteur. Mais la lampe ne se rallume.

– Bon, et bien je crois que l'électricité a été coupée.

Elle se dirige alors vers le robinet, et allume l'eau. Mais rien ne coule.

– Et je pense pouvoir dire sans trop me tromper que l'eau aussi.

La Nature reprend ses droitsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant