Solitudes

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Pov Ava

Était-il vraiment sérieux quand il me demandait de réfléchir à ce qui comptait le plus pour moi ? Pourquoi s'en souciait-il ? Pourquoi me posait-il la question et en quoi la réponse était-elle si importante, au juste ? Est-ce que bavarder sur ce genre de sujet n'était pas, pour le coup, le meilleur moyen de lui faire perdre son temps ? Bref, qu'est-ce qu'il pouvait bien en avoir à foutre ?

Qu'est ce qui compte le plus pour moi ? A quoi est-ce que je tiens ?

Même si je m'en défendais, la question tournait en boucle dans ma tête. Et elle commençait à brasser dangereusement au fond de moi les couches boueuses d'une souffrance que je m'étais évertuée à enfouir loin de ma conscience. Puisque je n'étais pas capable de répondre à cette question au présent, pouvais-je y répondre au passé ? A quoi est-ce que je tenais, avant ? Avant que tout ne dérape. D'ailleurs, quand ma vie avait-elle dérapé ?

Ah oui ... la mort de ma mère ...

Ça n'était évidemment pas la seule épreuve que j'avais du traverser dans ma vie. Il y avait eu l'absence de mon père, ma leucémie, les allers retours dans le service de pédiatrie de Stohess et les traitements lourds, le regard empli de pitié de mes amis puis leur éloignement, la solitude, les premières années de fac de médecine ... La différence, c'est que ma mère avait toujours été là, indéfectiblement présente à mes côtés, avec sa douceur et son amour.

Aujourd'hui, elle ne l'était plus.

En la perdant, j'avais perdu la seule personne qui me connaissait vraiment, souvent,  mystérieusement, mieux que moi-même. La seule personne à qui j'osais me confier, à qui j'osais montrer mes failles. La seule personne qui réussissait à apaiser mes angoisses et à déployer mes ailes. La seule personne que j'avais jamais aimé et que j'avais laissé m'aimer. Je lui devais tellement. Je lui devais la vie. Et en la perdant, je m'étais perdue moi-même.

Ce à quoi je tenais le plus ? C'était elle.

Elle était la seule personne avec qui j'avais jamais partagé une véritable intimité, avec qui je m'étais autorisée à me montrer telle que je suis. Je n'avais jamais eu véritablement confiance en moi, mais ma leucémie avait aggravé mon peu d'estime de moi et mes difficultés relationnelles. J'avais peur du regard des autres, peur d'être délaissée, abandonnée et de perdre l'amitié de ceux à qui je me liais. L'amour, ce n'était même pas la peine d'y songer : le risque de souffrir était bien trop grand ! Au fil du temps, j'étais donc devenue une solitaire. En ne m'attachant à personne, je ne risquais pas d'être rejetée comme je l'avais été par mon père puis par mes amis lorsque j'étais tombée gravement malade. Je ne voulais pas prendre le risque de revivre ça. La solitude, au final, m'était bien plus supportable. Les années passant, je m'étais contentée de la seule présence de ma mère. Elle m'avait pourtant averti qu'elle ne serait pas éternelle, elle qui s'inquiétait de voir sa fille unique si repliée sur elle, si effrayée de se lier à d'autres.

Et aujourd'hui, elle n'était plus là. J'étais vraiment seule.

Durant ces dernières années, les études de médecine m'avaient permis de trouver un excellent prétexte à ce repli : je n'avais pas de temps à consacrer aux sorties, je devais travailler dur pour réussir. Pour devenir de la même trempe que ces héros qui m'avaient sauvé la vie lorsque j'étais plus jeune. Malgré mes efforts, je restais pourtant dans la moyenne. Cela me résumait bien, d'ailleurs. A mes yeux, je n'avais jamais été autre chose qu'une fille "moyenne" : que ce soit pour mes notes, pour l'image que mon reflet me renvoyait, pour ma vie sociale ... chez moi, tout était "moyen". Mais je ne m'en souciais pas vraiment, au fond. Ce que je désirais, c'était devenir médecin. Ça aussi j'y tenais.

Sa voixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant