Cette personne

5.5K 461 225
                                    

Pov Levi

La nuit est tombée en douce, sans que je m'en aperçoive. Une nuit froide et épaisse. Dans la cour de l'entrepôt, un silence lugubre a succédé au vacarme des échanges de tirs. Seuls les bruits lointains de portières qui claquent et de pneus qui crissent me parviennent. Ces salauds sont en train de se faire la malle ! Avec prudence, je m'extrais de ma cache. Le pick-up sous lequel je m'étais jeté quelques instants plus tôt est maintenant criblé d'impacts de balles. Je ne sais par quel miracle je suis encore en vie ... mais à vrai dire je m'en carre. Je ne me pose même pas la question. Je n'ai qu'une obsession : les retrouver, eux. Je traverse la cour, à découvert, en tenant fermement mon arme de poing. La pluie battante a déjà détrempé mon uniforme. Une eau glacée ruisselle le long de mes cheveux, les plaquant sur mon front, avant de poursuivre sa course folle sur mon visage. Mais je n'y prête aucune attention. Lentement, je me dirige vers la cache où Furlan et Isabel s'étaient terrés juste avant que le piège ne se referme sur nous. En approchant du but, mon pied heurte un obstacle au sol. Je regarde. Mon cœur se fige, mon sang se glace. Isabel est là, sous mes yeux, inerte, gisant au sol dans une mare de sang, une plaie béante à l'abdomen. Ma gorge se serre. Ses yeux vitreux sont braqués sur moi, dans une expression d'horreur qui me lacère le cœur. J'aimerais l'appeler mais aucun son ne sort de mes lèvres. En relevant les yeux, mon attention est accrochée par une silhouette en uniforme échouée sur le capot d'une voiture à quelques mètres de là. Les mèches blondes ne me trompent pas : il s'agit de Furlan. Mais le sang qui recouvre la carrosserie et l'angle anormal de sa colonne vertébral ne me laissent aucune illusion : lui aussi est mort. Tous deux venaient d'être soufflés par l'explosion d'une grenade. Alors que mes yeux reviennent s'accrocher à ceux d'Isabel, sa bouche s'entrouvre dans un rictus terrible : « On comptait pourtant sur toi, Levi », dit une voix d'outre-tombe.


Je me réveillai en sursaut, haletant et trempé de sueurs. Encore ce putain de cauchemar ! Je jetai un œil au réveil posé au pied de mon lit : 7h35. Comme toujours, je n'avais réussi à fermer l'œil qu'au petit matin. Et comme toujours, j'avais aussitôt été tiré des bras de Morphée par le souvenir de cette journée. A croire qu'après plus de cinq ans ma mémoire restait toujours à vif. Je me rappelais de chaque détail, de chaque perception, de chaque sensation, et je les revivais avec une précision effrayante. Rares étaient les nuits où j'étais épargné, et les choses avaient même plutôt empiré ces trois derniers mois, depuis mon réveil de coma.

A tâtons, je ramassai mon téléphone et vérifiai mes messages. Un seul. D'Hanji. Avais-je vraiment envie de l'ouvrir ?

Bon anniversaire, mon petit canard !!! ;-)

Je fis retomber ma tête sur l'oreiller et posai mon bras en travers de mes yeux tout en poussant un soupir las. Et merde, on est le 25, pestai-je. La plaie !

La matinée s'écoula dans une lenteur parfaitement barbante, comme à peu près tous les jours depuis ma sortie de l'hôpital le mois dernier. Selon les médecins, je n'étais pas encore apte à reprendre le travail. Le tir de Kenny n'avait pas seulement touché l'artère, il avait également entraîné des lésions aux niveaux musculaire et osseux. Après avoir passé plus de trois semaines dans le coma en service de réanimation, j'avais été transféré en soins intensifs, en chirurgie puis dans un service de rééducation. Au total, trois mois d'hospitalisation. Autant dire, trois mois d'enfer. Aujourd'hui, si j'avais au moins la consolation d'être chez moi, je tournais pourtant comme un lion en cage. Mes semaines étaient simplement rythmées par les séances de kiné et les prises régulières d'antalgiques. Ce matin, comme à peu près tous les jours depuis trois mois (mais peut-être un peu plus encore en ce 25 décembre), je réalisais à quel point ma vie était d'un vide insondable. Constamment noyé dans le travail et le sport, cette lucidité ne m'était pas habituelle. Et, bordel, ce qu'elle faisait mal !

Sa voixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant