Tendresse

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Pov Ava

Je traversai la salle d'audience sur les talons de l'agent qui m'escortait vers la sortie, veillant à garder les yeux rivés sur l'ourlet de son pantalon d'uniforme, là, juste devant moi. En focalisant toute mon attention sur ce point précis, je tentais vainement d'oublier les regards avides que je devinais braqués sur moi. De fuir ces innombrables paires d'yeux curieux accrochées à mon dos ou cherchant à se frayer une ligne de mir jusqu'à mon visage, cherchant à s'y repaître des stigmates de ma défaite, de mon désarroi, de ma douleur. Je ne savais par quel miracle mes larmes s'étaient arrêtées de couler mais, dans le doute, je serrais les dents afin de prévenir tout nouveau débordement. Le claquement sec de nos pas sur le carrelage s'élevait froidement au milieu des murmures vrombissants de l'assemblée. Je ne voulais pas entendre. Je ne voulais pas savoir. Il ne me restait plus que quelques mètres. Je devais tenir. Avant de fuir. De disparaître.

En passant enfin le seuil de la porte, je m'autorisai à prendre une inspiration aussi profonde que mon angoisse me le permettait. J'étais sortie de cet enfer, et l'air frais du couloir me fit recouvrir quelques maigres forces. Suffisamment, du moins, pour mettre un pied devant l'autre jusqu'à la pièce où étaient restées mes affaires. L'agent m'ouvrit et je m'engouffrai dans la salle à la hâte. J'avais dans l'idée de quitter le palais de justice le plus rapidement possible. Pas seulement pour fuir ces gens, mais aussi pour fuir Levi. Je ne me sentais toujours pas le courage de lui faire face. J'avais honte d'être ce que j'étais aujourd'hui, tout comme (à bien y réfléchir) j'avais toujours eu honte d'être ce que j'avais toujours été. Mon cœur se serra.

- Ça va aller, mademoiselle ? , s'enquit l'agent en me dévisageant d'un drôle d'air.

- Oui, oui. Pas de souci, merci , répondis-je machinalement dans un petit sourire forcé.

« Pas de souci » ? Sérieusement, Ava ?

Après tout, c'était peut-être ça mon problème : au fond, j'étais incapable de faire suffisamment confiance à qui que ce soit pour montrer mon vrai visage. J'avais eu le culot de faire la leçon à Levi mais, en vérité, j'étais la première à fuir lorsque les choses se compliquaient. Fuir derrière un sourire. Derrière un « pas de souci » ou un « aucun problème », histoire de donner le change et de sauver les apparences. Sauf que voilà, je savais pertinemment que ce petit jeu de dupe ne marcherait pas avec Levi. C'était précisément pour cela que je fuyais maintenant sa présence ... à mon tour. Je ne voulais pas qu'il assiste à ce spectacle si pitoyable. Je ne voulais pas qu'en posant sur moi son regard d'acier il puisse me voir telle que j'étais au fond : écorchée, blessée, fragile, pathétique, idiote ... Tous les adjectifs qui me venaient en tête à cet instant précis étaient autant de lames qui perforaient ma piètre estime de moi depuis tant d'années.

- Je vous attends dehors, dans ce cas, fit l'homme. Prenez le temps qu'il vous faut.

- Merci.

Tandis que l'homme refermait la porte derrière lui, j'attrapai ma doudoune suspendue au porte-manteau. Les affaires de Levi reposaient quant à elles sur le dossier d'un fauteuil vert. Je les avisais quelques instants en repensant à la question de l'agent. « Ça va aller » ? Est-ce que ça allait aller ? Je pris le temps de faire le point tout en enfilant mon manteau. J'avais le ventre noué à force de ravaler mes peurs et mes pleurs. J'avais l'esprit groggy, la tête embuée, le cœur éteint, les sens anesthésiés. Je me sentais aussi creuse qu'une coquille vide. Après tant de douleurs, une couche d'indifférence et d'insensibilité venait de se déposer sur moi comme on enroule du papier bulle autour d'un objet un peu trop fragile. Mais je ne me faisais pas d'illusion : ce n'était que le calme avant la tempête. Et celle-ci promettait d'être terrible. Raison pour laquelle, je devais rentrer au plus vite, avant que la tempête n'éclate et que la douleur ne se déchaîne. Il était hors de question de partager ma peine avec qui que ce soit, encore moins de la donner en spectacle.

Sa voixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant