Silence

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Pov Ava

Des flocons épars virevoltaient timidement depuis quelques minutes. J'observais leur ballet aérien derrière la baie vitrée de mon salon. Une fine couche duveteuse commençait déjà à s'accrocher aux toits. Captivée par ce spectacle apaisant, je portai machinalement ma tasse de café à mes lèvres et bus une gorgée. Une volute de fumée passa devant mes yeux, brouillant brièvement ma vue plongeante sur le centre-ville de Stohess.

Nous étions le matin du 25 décembre. Quatre mois s'étaient écoulés depuis la prise d'otage, et trois depuis mon emménagement dans cette ville bourgeoise en périphérie de la capitale. Depuis trois mois, en effet, j'étais interne dans le service de réanimation de l'hôpital général de Stohess, où j'avais été transférée rapidement après les événements de l'été. Ce n'était pas faute d'avoir essayé de prendre sur moi et de prouver mordicus que je pouvais continuer à travailler à Trost. En bonne tête de mule que j'étais, il m'avait fallu deux semaines pour me rendre à l'évidence : j'en étais tout bonnement incapable. L'angoisse et la peur semblaient être tapies derrière chaque recoin du service, derrière chaque porte que j'ouvrais, derrière chaque bruit qui s'élevait en m'arrachant un sursaut ; prêtes à me sauter à la gorge et à me broyer dans leurs serres à tout instant. Je ne m'étais pas aperçu tout de suite à quel point mon corps tout entier était noué, crispé – muscles et viscères compris – rien qu'à me trouver entre les murs de ce service. J'étais constamment aux aguets, sur le qui-vive, comme si Kenny ou l'un des terroristes menaçait de réapparaître à tout instant. Sans m'en apercevoir, cette tension m'avait vidé du peu de forces qu'il me restait. Mais ce malaise n'était rien encore en comparaison de la détresse qui s'était abattue sur moi lorsque j'avais fini par entrer dans la salle des internes. J'avais soigneusement évité cette pièce durant plusieurs jours, acceptant la proposition de Stan de partager avec lui son bureau. Mais au bout de deux semaines, estimant qu'il était temps de me confronter à la réalité et d'arrêter de repousser l'inéluctable, je m'étais forcée à y entrer pour récupérer le dossier médical d'un patient. Il n'avait pas fallu cinq minutes avant que je m'effondre et c'est Larry qui me retrouva là, agenouillée au sol, la tête enfouie dans mes mains, en train de pleurer tout mon saoul. Le vide et le silence étourdissants de cette pièce contrastaient violemment avec les souvenirs de cette journée, qui ne demandaient qu'à resurgir de l'ombre où je tentais de les repousser. Une part de moi avait dû naïvement espérer pouvoir infléchir le cours du temps et le retrouver là, derrière cette porte close, encore affalé sur le sol maculé de son sang, pour enfin pouvoir lui venir en aide. Mais la salle était dorénavant vide et le carrelage d'un blanc immaculé. Il n'y avait plus personne à sauver ici. Il était trop tard.

- Hé ! Ava ! , avait murmuré le chef de service en s'accroupissant à mes côtés.

Mes pleurs avaient redoublé silencieusement et Larry avait passé un bras autour de mes épaules avant de poursuivre.

- Je ne sais pas ce qui se passe dans ta tête au juste. Ce que je sais par contre, c'est que tu forces beaucoup trop. L'équipe s'inquiète pour toi. Lâche du lest. Lâche même le service s'il le faut ...

- Je ne suis pas la seule à avoir trinqué, avais-je répondu entre deux hoquets. Vous, Stan, Gaby ...

- Je t'arrête tout de suite ! Oui, nous avons été pris en otages. Oui, nous avons tous été choqués. Mais ça n'a rien à voir avec ce que tu as traversé, toi. Je ne comprends même pas comment tu as pu tenir deux semaines ici. Pars, Ava. Accepte la proposition de la faculté : accepte un transfert dans un autre hôpital. Tu ne nous dois rien, et tu ne seras certainement pas considérée comme une lâche si c'est ça qui t'inquiète.

Larry s'était alors relevé avant de poser sa main sur ma tête.

- Prend ta journée, mets-toi en arrêt et contacte la faculté pour les prévenir. Si tu veux être un bon médecin, Ava, il va falloir que tu apprennes à accepter tes limites.

Sa voixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant