Te connaître

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Pov Ava

- Euh ..., bafouilla l'homme sur le pas de ma porte.

Son regard glissa furtivement de mes cheveux ébouriffés à mes pieds nus, avant de revenir se planter dans mes yeux rougis par la fatigue et les pleurs. Il ne faisait aucun doute que la déliquescence de mon visage dénotait avec la tenue de soirée que je portais encore. L'homme poursuivit après un silence gêné.

- Désolé de déranger à une heure pareille, dit-il. Mais ...

Simon, mon voisin de palier, laissa sa phrase en suspend avant de s'écarter d'un pas de côté, imité par sa compagne dans son dos.

- ... vous connaissez ce type ?

Derrière eux, assis à même le sol et adossé au mur du couloir, gisait un homme. Sa tête affaissée sur son torse ne donnait aucun accès à son visage, dissimulé sous une crinière ébène qui retombait en mèches sur son front. Il était vêtu d'un pantalon de costume noir maintenu par une ceinture et d'une chemise grise dont il avait retroussé les manches. Ses mains gisaient mollement au sol, les paumes tournées vers le plafond.

Mon cœur se mit à cogner si fort dans ma poitrine qu'il me sembla être à deux doigts de se décrocher. A chaque battement, il risquait de s'abîmer dans le tréfonds de mes tripes, elles-mêmes retournées par la lame de fond inexorable de mes sentiments. Une foule de questions se pressait dans mon esprit. Mais surtout : pourquoi était-il ici ? De tous les coins et recoins qui peuplaient cette terre, de tous les immeubles et de tous les couloirs que cette ville abritait : pourquoi ici ? Pourquoi devant ma porte ?

- Parce que sinon on appelle les flics, ajouta Simon.

- Non ! , m'exclamai-je avant de m'avancer vers Levi. Non, je le connais.

Enfin, je crois ..., rectifiai-je pour moi-même en repensant à sa froideur méprisante quelques heures plus tôt. Je m'accroupis à ses côtés, hésitante. Que devais-je faire, au juste ? Il me demandait de ne plus courir après un fantôme, mais le voilà qui hantait mon couloir. J'ignorais tout de lui, jusqu'à ses véritables sentiments à mon égard. Peut-être n'étais-je vraiment « personne » à ses yeux ... Pour autant, je ne pouvais abandonner à son sort cet homme qui était venu s'échouer devant ma porte.

- Levi, l'appelai-je d'une voix mal assurée.

Aucune réaction.

- Levi, répétai-je un peu plus fort tout en posant une main sur son épaule.

Sa tête dodelina mollement. Après quelques secondes d'hésitation, je posai mon autre main sur sa joue et relevai son visage.

- Levi, essayai-je à nouveau.

Chaque prononciation de son nom me perforait les entrailles. Mais ce n'était rien en comparaison du raz de marée que provoqua la vision de son visage à cet instant. Celui-ci avait perdu toute sa sévérité pour ne plus laisser place qu'à l'expression d'une douleur qui crispait chacun de ses traits. Ce n'était plus un homme hautain et méprisant qui se tenait devant moi, mais un homme profondément meurtri. En détaillant son visage, je découvris une plaie violacée sur sa pommette gauche. S'était-il battu ? Tandis que je passais mon pouce sur l'ecchymose, Levi entrouvrit difficilement les yeux et accrocha mon regard. Je remarquai ses pupilles dilatées. Ses lèvres s'entrouvrirent, cherchant à articuler des mots qui se noyèrent dans son ébriété.

- ... Ava ? , réussit-il finalement à prononcer dans un souffle aux relents d'alcool.

Je restai pétrifiée. Cette main posée sur la joue de l'homme qui m'avait si froidement expédié quelques heures plus tôt me semblait tout à coup bien imprudente et bien trop audacieuse. Mais Levi ne chercha pas à s'en détacher. Bien au contraire, il luttait même pour s'accrocher à mon regard malgré la somnolence qui accablait ses paupières. Dans ses yeux, il n'y avait plus ni glace ni colère, seulement les ombres d'une tristesse sans fond. Je compris qu'à cet instant Levi m'apparaissait tel qu'il était réellement sous les airs dédaigneux qu'il se donnait : un homme en pleine noyade. Je ne pouvais pas être sa planche de salut, mais j'étais plus que jamais déterminée à lui tendre la main. Aussi, cette fois-ci, je soutins son regard sans ciller.

Sa voixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant