Délibérations

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Pov Levi

Le cul vissé à mon banc, le dos collé au mur, je promenais un regard blasé sur l'agglomérat d'abrutis qui m'entourait. Et ils étaient nombreux : personnalités publiques, officiers, curieux en quête de sensationnel qui n'avaient visiblement rien de mieux à foutre aujourd'hui, et – pire que tout – journalistes à foison. Tout ce beau monde avait accouru pour assister à l'ultime étape de « l'affaire Kenny Ackerman ». Parce que, oui, cet abruti avait maintenant une affaire à son nom et bon nombre de casseroles au cul. Finalement, après une longue semaine de débats et d'auditions, le tribunal rendait aujourd'hui sa décision finale ; et ça, ça méritait bien une audience publique. L'attente nerveuse du verdict, l'atmosphère étouffante et surchauffée de cette salle bondée, le bourdonnement irritant de la foule me rendaient lentement mais sûrement d'humeur exécrable. Un soupir ostentatoire s'échappa de mes lèvres. Aussitôt, comme en écho, une main vint se poser délicatement sur ma cuisse. Je tournai la tête vers ma voisine de gauche dont la beauté me coupa le souffle. Étrangement, même au milieu de cette salle d'audience, elle irradiait le bonheur. Seules ses lèvres pincées et crispées dans un petit sourire figé laissaient percevoir son inquiétude : l'homme qui avait tenté de la brûler vive allait-il recevoir la peine qu'il méritait ? Si ce n'était pas le cas, je jurais de m'en charger à ma manière.

- Monsieur Kenny Ackerman ..., énonça le juge d'une voix claire au moment où mes doigts se glissèrent entre ceux d'Ava.

A cette simple évocation, le silence retomba dans la salle d'audience. Par réflexe, ma tête voulut se tourner vers l'homme de loi qui venait de reprendre la parole, mais je l'en empêchai. Je voulais garder mes pupilles rivées à celles d'Ava. Je voulais qu'elle comprenne. Qu'elle comprenne que, quoi que la justice puisse dire en cet instant, j'étais foutrement décidé à rester à ses côtés. Je me souvenais trop bien de l'affaire de Stohess, de ce simulacre de procès et de l'acquittement de mon abruti d'oncle. Malgré les preuves et les témoignages qui l'accablaient aujourd'hui, tout était possible, rien n'était gagné. 

- A la majorité des voix, poursuivit le juge, vous avez été reconnu coupable de l'assassinat de Clara Bott ; de tentatives de meurtre sur les personnes de Marco Bott, Livaï Ackerman et Ava Rosenberg ; de corruption et de participation à une organisation criminelle.

La main d'Ava se referma un peu plus sur la mienne. Croyant difficilement à cette sentence que je n'attendais plus et que, pourtant, je venais d'entendre, mon regard se décrocha d'Ava pour se poser sur le juge. 

- En conséquence, la cour vous condamne à une peine de trente ans de réclusion criminelle ...

L'homme continua à déblatérer, mais je n'écoutais déjà plus. Kenny ... Kenny venait d'être reconnu coupable et condamné à la réclusion. Sérieusement ? Tout à coup, un poids sembla se délier de ma poitrine pour venir s'écraser dans mon ventre. Encore sonné, je me tournai à nouveau vers Ava. Celle-ci regardait droit devant elle et des larmes dévalaient ses joues. Ma main quitta la sienne, se glissa dans son dos pour venir s'arrimer à sa taille. D'une petite pression, je la ramenai doucement contre moi. A partir de maintenant, et même si l'envie prenait à Kenny de faire appel, tout était fini. Oui ... 

- C'est fini, murmurai-je, la joue posée dans les boucles d'Ava. On a réussi, gamine.

Je profitai de ma situation pour capter quelques unes de ces effluves enivrantes devenues si rapidement familières, tandis qu'une petite main vint à nouveau se poser sur ma cuisse. Je me perdis dans mes pensées durant quelques instants, avant qu'une voix puissante ne me ramène dans la salle du tribunal. 

- L'audience est levée, claironna-t-elle. 

Après le départ du juge, le brouhaha parfaitement horripilant de l'assemblée reprit de plus bel. Chacun y allait de son petit commentaire sur le déroulé du procès, le verdict ou la durée de la peine. Tous ces gens étaient sûrement convaincus que quelqu'un, quelque part, en avait réellement quelque chose à foutre de leurs avis. Personnellement, je n'avais qu'une envie : fuir ce tribunal avant que les  journalistes ne nous tombent sur le râble. Mais, dans l'immédiat, il me restait une dernière chose à faire. 

Sa voixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant