Noé
2 novembre
_12h30
- Ok, établissons un plan.
Il fait bon en cette journée d'automne, même si le vent sec nous oblige à porter notre veste au soleil. Maria et moi, assis sur l'une des tables de pique-nique du campus sous un chêne dont les feuilles sont parées de leur couleur automnales, préparons à notre manière le départ du voyage à Jérusalem. Roland et Olivier sont absents, partis acheté quelque chose à grignoter au distributeur en guise de déjeuner.
Ça y est.
C'est aujourd'hui.
Le jour que j'avais tant redouté mais dont je m'étais tant languis à la fois...
Dans la soirée, Roland, Maria et Olivier ainsi que d'autres élèves de leur classe prendront l'avion direction Jérusalem et ne reviendront que dans cinq semaines. Autrement dit, j'allais passer cinq semaines seul à seul avec Vanitas.
Cinq semaines..
Je frissonne et je ne sais toujours pas si c'est de la peur ou de l'excitation. L'excitation de savoir que nous serons absolument isolés du reste du monde une fois la porte de l'appartement refermée. La peur d'être incapable de me contrôler à nouveau, exactement comme la fois où je me suis glissé dans son lit pour l'accompagner dans son sommeil.
- Quel genre de plan ? me demande soudainement Maria en sortant la tête de son cahier de cours.
- Le genre de plan où tu déclares tes sentiments à Roland pendant votre voyage, je lui réponds, sortant de mes pensées. C'est une occasion en or !
- Impossible, Noé. Si il refuse j'en garderais un mauvais souvenir.. Et ça, il en est hors de question.
Je soupire de manière exagéré. Cela fait déjà beaucoup trop longtemps que ces deux là s'aiment secrètement l'un l'autre et que l'une est trop timide pour faire le premier pas et l'autre trop ahuri pour se rendre compte de ses propre sentiments.. A ce rythme là, la relation est scellé ; à jamais clouer au sol.
Pourtant, on peut très bien deviner leurs petits regards discrets – sans trop l'être – qu'ils s'échangent régulièrement.
Et puis, je l'avoue, j'aime être au coeur de ce genre d'histoire. C'est aussi pour ça que je m'y investis autant. De plus, cela me permet d'oublier à quel point ma propre vie sentimentale est un chaos sans nom.
Maria passe une main dans ses courts cheveux, dégageant quelques feuilles mortes venues s'accrocher à ses mèches blondes et vient justement soulever ce point :
- Au lieu de jouer les cupidons, tu devrais te préoccuper de Dominique. Comment ça va avec elle en ce moment ?
Je pose les coudes et souffle une deuxième fois – cette fois sans exagérer – avant de gratter distraitement le bois de la table qui s'effrite sous mon doigt et de lever les yeux vers les rayons du soleil filtré à travers le feuillage de l'arbre.
- On a prévu de s'appeler ce soir. Elle a quelque chose à me dire apparemment... Un truc important.
- Qu'est ce que ça peut être, à ton avis ?
- Oh, elle va simplement me raconter qu'elle s'est cassé un ongle. Ou qu'elle a filé ses collants ce matin.
Elle me parlera du prochain scénario de film que son professeur lui a demandé de rédiger, du prochain casting qu'elle passera à Marseille, Lyon ou Bordeaux, de son manque de sommeil et de ses courbatures. Au pire, elle m'ordonnera de faire attention à mes fréquentations et me rappellera au moins pour la millième fois à quel point elle a horreur que je sortes tard le soir avec Vanitas et sa bande...
Je fixe le fond d'écran de mon portable et observe la photo de Dominique et moi. Elle date du moment où nous fêtions nos six ans de relations, à l'heure de passer à table, nos deux familles réunies pour l'occasion. Sur ce cliché, nous ressemblons au petit couple parfait... Mais ce que l'on ne remarque pas tout de suite, c'est la main de Dominique posée sur ma jambe, m'agrippant, comme si elle m'empêchait de fuir.
Pour Dominique, l'important concerne surtout les apparences. C'est pour ça que je ne suis en aucun cas nerveux quant à l'appel de ce soir.
Ce n'est apparemment pas l'avis de Maria qui me conseille de prendre un peu plus au sérieux ma petite amie. A ce moment là, je sais qu'elle essaye de m'aider, elle aussi.
Mais je suis le seul à connaître Dominique et à savoir ce qu'elle a derrière la tête.. Pour le meilleur, et parfois le pire.
Quelques instants seulement plus tard, Roland et Olivier nous rejoignent et nous mangeons à l'extérieur, profitant encore de la température acceptable pour ce mois de novembre, la conversation principalement centré sur leur départ imminent. Roland est encore plus excité qu'à son habitude – honnêtement, je ne pensais pas ça possible – et ne tient littéralement plus en place, ce qui le rend particulièrement infernal mais ce qui nous amuse à la fois.
Après le déjeuner, je quitte mes amis et déambule dans les couloirs de l'université rempli d'élèves afin de me rendre à mon cours d'anthropologie. Je passe la porte de l'amphithéâtre et salue mon professeur qui me répond aimablement par l'ordre d'aller m'asseoir avant d'être considéré en retard.
- Mon cours commence à 14h00, monsieur Noé, me sermonne-t-il. Pas plus, pas moins !
Mon regard balaie la salle jusqu'à ce que je remarque, au dernier rang, en haut de l'escalier, Dante et Yohan me faisant de grands signes de mains. Sérieusement, ils pourraient se balader en slip imprimé léopard qu'ils seraient tout aussi discrets. A côté d'eux, Trix est en train de se mordiller nerveusement les ongles tandis qu'Amélia aussi est là, assise seulement quelques sièges plus loin, qui me regarde avec son doux sourire habituel.
Je monte les marches quatre à quatre et les rejoins, acclamé par mes deux amis comme un coureur de marathon qui viendrait de franchir la ligne d'arrivé, ce qui ne peut m'empêcher de me faire rire.
- Allez viens t'asseoir, Archiviste !
Je me retrouve assis à côté d'Amélia qui hoche poliment la tête pour me saluer. Toujours aussi formelle alors que nous commençons à bien nous connaître maintenant.
- Ça va ? je lui demande
Elle n'a pas le temps de répondre à ma question que je sens de l'agitation juste derrière, des rires, de larges gestes, des protestations silencieuse... Lorsque je me retourne pour savoir ce que les trois autres trament dans mon dos, je tombe nez à nez avec une Trix rougissante, qui prend la parole en remontant la monture de ses lunettes sur son nez avec le dos de sa main :
- Je me demandais.. En fait.. Tu as encore un cours, après celui-ci ?
- Non. C'est le dernier de la journée.
- Bon..
Dante et Yohan échangent quelques messes basses et gloussements, mais je n'y prête pas attention. Je me concentre essentiellement sur Trix, qui semble avoir du mal à trouver ses mots lorsqu'elle bredouille :
- Est-ce que ça te dirait de.. Qu'ensemble.. On aille se promener en ville ? Tout à l'heure ?
- En ville ? Au centre-ville tu veux dire ?
- Euh, oui.
- C'est d'accord !
- Mademoiselle Béatrice et monsieur Noé ! nous interrompt soudain notre professeur, sa voix résonnant à travers le micro – toujours aussi défectueux – de l'estrade.Veuillez garder le silence, ou je vous colle des devoirs supplémentaire lors des travaux dirigés.
Nous nous échangeons un regard amusé puis je me détourne afin d'essayer d'écouter ne serait-ce qu'un semblant du cours.
Je n'ai eu l'occasion de me rendre au centre de Paris qu'une seule fois depuis que je suis arrivé ; lors de la visite du musée avec Roland et les autres. Je devais d'ailleurs profiter de cet après midi pour réviser à la bibliothèque avec eux, mais ils ne me tiendront pas compte de ce petit changement de programme.. J'espère.
Et puis ça ne peut pas me faire du mal de passer du temps avec Trix ; elle a de la conversation et nous sommes sur la même longueur d'ondes sur beaucoup de sujets. Seulement, nous n'arrivons jamais à discuter tranquillement ensemble, toujours interrompu par Jeanne, Dante ou Yohan.
De son côté, Vanitas m'avait bien promis qu'il me ferait visiter la capitale dans les moindre détails, mais je ne sais pas si je pourrais compter indéfiniment sur lui. En ce moment, il a plus le nez dans ses livres de cours que dans un verre d'alcool... Ce qui n'est pas une mauvaise chose en soit, mais c'est vrai que l'on passe beaucoup moins de temps à parler, tous les deux. Il a même arrêté de me taquiner récemment. Tout ce qu'il réclame, c'est qu'on lui fiche la paix.
Soit.. Si il n'est pas prêt à se montrer disponible je passerais du temps avec ses amis, dans ce cas !
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Tu seras un homme ( Vanitas no carte )
FanfictionPas facile d'être un garçon dans une société aussi exigeante que la nôtre ! Surtout lorsque certaines obligations masculines vont à l'encontre de notre propre vision des choses... Pas vrai, Noé ?