Noé
_7h30
- Ça fait longtemps, pas vrai ?
Quelques feuilles mortes craquent sous mes chaussures lorsque je m'approche de la stèle en granit noir sur laquelle est écrit un nom en inscription dorées, aussi élégantes que celui qui le portait. La tombale est encore bien entretenue ; les chrysanthème du mois de septembre ne sont plus d'actualités et ont laissé place à un resplendissant bouquet de pensées mauves et je ne trouve aucune trace de poussière sur les cadres éternellement rangés de manière symétrique, ni sur la colombe en céramique, ni sur la médaille d'un concours de lecture remportée il y a déjà dix ans. J'imagine Madame de Sade venir ici toutes les semaines, arroser et changer les plantes, arracher les mauvaises herbes, râler contre le vent ou la pluie et se réjouir du soleil selon la météo du jour, exactement comme lorsque nous étions petits. Cela me fait sourire.
- Ça me fait bizarre de ne plus venir ici chaque semaine, je confie tout en m'asseyant sur le soubassement. Je sais que j'avais promis de revenir souvent. Mais bon, à ce que je vois, rien n'a vraiment changé ici...
J'enfonce le bout de mon pied dans les graviers qui émettent un crissement sourd, presque gêné du silence bien que j'y sois habitué depuis toutes ces années où je me rends dans ce champ du repos.
- Alors que pour moi, tout est en train de changer. Si tu savais à quel point Paris est géniale, je ne m'y ennuie jamais là-bas. Beaucoup moins qu'ici en tout cas...
En frissonnant, je lève les yeux vers le ciel rosé du matin tandis que le soleil se lève petit à petit derrière les arbres, au loin. Une envolée d'oiseau survolant le cimetière indique que l'hiver approche insidieusement. Je resserre les pans de mon manteau pour me réchauffer.
- Je n'en veux pas à mon père, je confie à mon meilleur ami. Je sais qu'il fait ce qu'il pense être le mieux pour moi. Tout ce qu'il veut, c'est mon bonheur... Et il a raison ; être avec Dominique me rend heureux. Ce mariage est sans doute ce qui devait arriver, dans l'ordre logique des choses. C'est bien comme ça.
Le vent se lève et siffle à mes oreilles, soulevant mes cheveux en même temps qu'une traînée de poussière m'obligeant à fermer les yeux. Quand enfin il s'apaise, je pose mes yeux sur le cadre renfermant une photo vieillissante de Louis, Dominique et moi bras dessus bras dessous. Les couleur s'estompent et les lignes sont un peu fébriles mais elle semble toujours dégager une chaleur réconfortante, comme un bon feu de cheminée un soir de tempête.
- A qui j'essaie de mentir ? Tu me connais. Tu sais que je suis complètement dingue de... lui. Heureusement que tu n'es pas là pour me rappeler à quel point je suis idiot d'avoir fait ma demande à Domi et d'encore cacher la vérité à tout le monde. Après tout, tu étais le seul à savoir...
Depuis notre plus tendre enfance, je me suis toujours senti inexorablement attiré par mon propre genre. Comme les filles de ma classe, j'aimais rêver à propos des chanteurs ou acteurs du moment, parler pendant des heures d'histoire à l'eau de rose, passer mon temps à imaginer l'homme de mes rêves.
Je pensais que c'était normal. Que chaque mec avait - plus ou moins - déjà eu une période où baver devant des lignes d'abdominaux bien dessinés était tout à fait banal.
Quand j'ai découvert que ce n'était pas le cas et que, les années passant, je n'éprouvais que de la simple curiosité - voir de l'ennui - pour le corps féminin contrairement au désir dont parlais les autres garçons de mon âge, je me suis effondré.
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Tu seras un homme ( Vanitas no carte )
FanfictionPas facile d'être un garçon dans une société aussi exigeante que la nôtre ! Surtout lorsque certaines obligations masculines vont à l'encontre de notre propre vision des choses... Pas vrai, Noé ?