Chapitre 13

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Vanitas


Le réveil affiche exactement 7h02 lorsque je me réveille. Sans sursaut, ni cauchemars, ni sueur froide.


Ça fait des jours que ça n'était pas arrivé.

Mais quelque chose me frappe bien plus que d'avoir probablement passé l'une des meilleures nuits de ma vie. Ce sont les bras de Noé que je découvre autour de ma taille et qui m'étreignent puissamment, son souffle dans le creux de mon cou, l'odeur suave de son parfum imprégné sur ses vêtements et sa chaleur réconfortante derrière moi.

Habituellement, je ne supporte pas les contacts physiques. Surtout les longues étreintes. Elles m'oppressent et me donnent l'impression d'être pris au piège. Mais sans que je ne puisse l'expliquer, cette fois, je me sens... Indéfiniment bien. Même la douleur aiguë de ma blessure semble minime à côté de cette sensation.

Je me surprends à avoir envie de rester.

Mais je ne le peux pas. Sinon Noé s'imaginera tout un tas de fondement sur moi qui seront inévitablement faux. Et lorsqu'il découvrira mon vrai visage, il risque de s'effondrer : comme absolument tout ce qui gravite autour de moi.

Avant que cela n'arrive, je décide de me lever du lit en prenant garde à ne pas le réveiller, sans même lui adresser un regard de peur d'avoir affaire à son visage paisiblement endormi ou une autre bonne raison de rester avec lui. Dans la pénombre du petit matin, je sors mon portable pour envoyer un message, enfile des vêtements propres, ramasse ceux encore tâchés de sang de la veille et m'éclipse de la chambre.

Lorsque je referme la porte derrière moi et m'y adosse, je reprends enfin ma respiration. 




* * *



Quand je me rends dans la salle de bain commune et me plante devant le miroir, je constate qu'il n'y a plus aucune trace de ma venue hier et le sol carrelé est redevenue aussi blanc que neige. Je soulève mon t-shirt et alors que je compte observer la plaie juste sous ma côte gauche, je me rends compte que celle-ci est cachée par un piètre bout de gaze et de sparadrap qui, j'imagine, est l'œuvre de monsieur Archiviste. On va dire qu'il a fait de son mieux.

J'arrache le pansement improvisé et observe ma peau. Elle ne saigne plus mais semble encore à vif... Je sais qu'il va falloir quelques semaines avant que tout ça ne soit que de l'histoire ancienne. Comme si je n'avais pas déjà assez de cicatrices, il a fallu qu'une autre vienne s'ajouter à la collection. Quel bande de chien...

En y réfléchissant bien, je me demande si tout ça en vaut la peine.

Pourquoi ne quitterais-je pas ma vie de débauche pour celle d'un étudiant tout à fait normal, avec des amis normaux, des activités normales, et un job normal ?

A l'époque, le trafic n'était qu'un moyen pour moi d'échapper à ma petite routine lycéenne tout en me faisant de l'argent. C'était illégal certes, mais si simple, rapide et efficace. Mais aujourd'hui, toute cette merde m'empêche d'avancer dans la bonne direction.

Alors que je suis perdu dans mes réflexions, la porte s'ouvre brusquement et Yohan et Dante, avertis par le message que je viens de leur envoyer, rentre dans la salle de bain et me rejoignent avec l'air de deux idiots triomphants encore en pyjama.

- Alors alors, qui est de retour parmi nous ? me lance Dante en guise de salutation, ses cheveux encore plus indisciplinés qu'à leur habitude.

J'abaisse mon haut, mais pas assez rapidement pour qu'ils ne remarquent pas ma blessure. Je sais qu'ils jubilent tous les deux de me voir revenir après avoir fanfaronner face à leur mise en garde, et ça me fout la haine.

- Ooh, c'est pas un joli bobo, ça ! minaude Yohan en posant ses mains sur mes épaules, la bouche en cœur. Tu veux un bisou magique ?
- Approche toi encore d'un centimètre et je te tue.
- C'est qu'il est de mauvaise humeur, en plus !

Je m'assois sur le banc, appuie mon dos contre le mur et lance ma tête en arrière en soupirant. La journée n'a pas encore commencé que ses deux idiots ont déjà aspiré toute mon énergie.

Dante s'adosse à un lavabo. Reprenant son sérieux et croisant les bras, il me questionne :

- Tu t'es fait embrouiller par qui encore ? Toujours les mêmes ? Un inconnu ?
- On n'est pas là pour parler de ça, je lui réponds en soupirant.
- Oh, ça va, tout de suite les affaires avec toi ! On peut discuter un peu, non ? On est tes amis, que je sache !
- Vous n'êtes pas mes amis. Vous êtes des emmerdeurs.

Yohan glousse en se couvrant la bouche avec sa main. Dante, lui, plonge la main dans son pantalon, en sort deux petits sac plastiques – l'un contenant des pilules, l'autre une poudre plus ou moins blanche – et les lance dans ma direction comme si il s'agissait d'un jeu de pétanque.

- Tient, attrape !

Je m'écarte volontairement pour les laisser tomber par terre.

- Tu viens vraiment de mettre ça dans ton froc ? je demande d'un air médusé.
- Et alors ? J'ai une hygiène irréprochable.
- Dante, tu me dégoûtes.
- J'ai pas de poches, d'accord ? Il n'y a que là que je pouvais les ranger. Déjà que je t'apporte ta marchandise, tu vas pas faire la fine bouche !

A côté de nous, Yohan se tient les côtes tellement il rit. Quand à moi je ne ris pas, mais alors pas du tout.

Je me penche et saisis les sachets du bout des doigts en exagérant une mimique de dégoût, juste pour l'emmerder. Puis, je les mets dans mes poches de pantalon en essayant de ne pas penser à l'endroit où ils ont traînés.

- Ok, merci ! je lance. Cassez-vous maintenant.
- Tu plaisante ou quoi ? Il s'est passé beaucoup de choses pendant ton absence. On a plein de trucs à te raconter !

Je roule des yeux face à l'insistance de Yohan, attrape une serviette puis pars m'enfermer dans une des cabines. Si ils tiennent tant que ça à me raconter leur vie, ils ne verront aucun inconvénient à ce que je prenne ma douche en même temps.

Je me sens sale. Dégueulasse. Si je reste une minute de plus avec cette odeur de sang qui me colle à la peau, je risque de devenir dingue.

Je retire mes vêtements, les suspend aux portes manteau et me glisse sous l'eau tiède. Je grimace lorsque le jet passe sur ma blessure, ravivant la douleur qui était pourtant devenue un peu plus supportable que la veille.

Durant dix minutes, tous deux ne font que me parler de la pluie et du beau-temps, de leur professeur de sociologie complètement sadique, du menu d'hier au self-service franchement pas terrible, de Trix en train de tomber amoureuse de Noé, de la soirée qu'ils ont passé hier au Charlatan où je n'étais pas.

- Jeanne a dit qu'elle s'inquiétait pour toi, m'informe Dante à travers la porte. Pourtant, c'est elle qui t'a foutu dehors. Cette fille est une énigme à elle toute seule !
- Rien ne l'obligeait à m'héberger plus longtemps.

Je n'en veux pas à Jeanne. Ce n'est pas de sa faute si je suis le pire ami sur qui elle n'ait jamais pu compter... Sauf pour le sexe, évidemment. Mais ce simple critère ne fait déjà plus partie de ce que les gens qualifie d'« amitié ».

Bref. Le fait est qu'elle ait eu raison de me virer.

- Et puis vous m'avez pas accueilli à bras ouverts non plus, je leur signale tout en coupant l'eau et en tendant le bras pour attraper ma serviette.
- Tu aurais accepté de venir chez nous si on t'avait proposé ?
- Bien sûr que non !

Une fois sec, je passe mon t-shirt et mon jean noir, déverrouille le loquet de la cabine et sors enfin. Ils m'attendent tous les deux sur le banc, exactement au même endroit où je les ai laissé.

C'est uniquement quand je rencontre leur regard que j'arrive à percevoir leur inquiétude. Tous les deux d'une manière différente. Yohan se frotte l'arête du nez sous ses lunettes en soupirant, Dante agite nerveusement la jambe droite en tordant dans sa bouche une cigarette éteinte.

- Qu'est ce qu'il y a encore ?

J'ai soupiré tout en posant ma question et en glissant les pieds dans mes chaussures usées. Dante, lui, sort son briquet et joue avec la roulette.

- Le boss veut te parler par rapport à ton quota de vente. Si il t'appelle, sois cool avec lui.
- S'il te plait ! ajoute Yohan en prenant un air de chien abandonné au mois d'août. Sinon il va encore dire qu'on ne fait rien !
- Comment ça « rien » ?
- Rien pour t'aider à te remettre sur le droit chemin ! termine Dante en refermant les bras contre son torse.

Je crois rêver. Alors comme ça, ils se feraient tous les deux sermonner par le patron à cause de mon attitude de ses derniers jours ? Pourquoi ne pas venir m'en parler directement au lieu de faire passer le message de cette manière ? Je ne comprends pas.

En tout cas, si il a – vraiment – quelque chose à me dire, j'attends ses remontrances de pied ferme.

- Vous en faites pas, je les rassure. Je serai sage.

Du moins j'essaierai. 

Tu seras un homme ( Vanitas no carte )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant