Les Étoiles Vagabondes

C h a r l y

Août 2015. Paris. 

Charly réajusta son débardeur trop grand qui venait de glisser de son épaule et tourna pour atterrir rapidement devant le café où elle devait rejoindre Nekfeu. Ça faisait deux gros mois qu'il avait envoyé ce sms et après en avoir discuter avec Jude et Framal, elle avait finalement reprit contacte avec le grec, lui proposant un verre pour récupérer le bouquin. 

Elle le retrouva planqué derrière une casquette, une paire de lunette de soleil et un t-shirt Trasher. Il était dans un coin un peu reculé de la terrasse et elle comprenait bien qu'il cherchait à ne pas attirer l'attention sur lui. Elle se posa devant lui, retournant sa propre casquette pour lui planter un sourire auquel il répondit simplement. 

- Tu bois quoi ? finit-il par demander 
- Diabolo Gre ? 

Il haussa un sourcils, avec un léger sourire en coin et Charly marmonna, les joues roses, forcément qu'il devait la juger mais elle n'allait pas prendre une bière alors qu'elle n'était pas majeure. Pas encore. Il fallait qu'elle patiente encore quelques semaines. Nekfeu passa commande et tendit directement sa carte alors qu'elle préparait son billet, elle gonfla une joue en fusillant du regard le garçon qui ria. 

- Tu m'en paieras un quand tu seras majeure, ok ? s'amusa-t-il
- Je note, elle hocha la tête, le serveur s'éloigna et elle posa ses mains sur la table ; t'as mon livre, Nekfeu ? fit-elle avec un grand sourire 

Visiblement le garçon ne semblait pas si à l'aise puisqu'il perdit son sourire, légèrement tendu et son regard se perdit sur la terrasse avant de soupirer. 

- Ken, appelle-moi Ken. 
- Je vois, de nouveau, elle hocha la tête avec un sourire timide ; il ne voulait simplement pas être reconnu

Elle glissa légèrement une mèche de cheveux derrière son oreille et remercia le serveur qui était revenu déposer les boissons devant eux. Elle attrapa la paille de son verre et joua avec, fixant les clients du café voisin, sirotant sa boisson fraiche. Ken, bougea légèrement et sortit deux livres de la poche arrière de son jean. 

- J'en ai récupéré un, sur un banc, une fois. L'écriture était la même, justifia-t-il 

Elle ne put s'empêcher de reconnaitre la couverture défoncée de son premier livre et elle se mordit la lèvre inférieure pour ne pas pleurer. C'était ridicule, elle en avait conscience mais ce livre avait une telle valeur sentimentale. Elle était partie, toute jeune, une sorte de fuite mais elle avait pas réellement de raison. Elle était allée jusqu'à prendre un train en soumsoum et c'était le contrôleur qui l'avait chopé. 

Son père lui avait offert ce livre, quelques jours plus tard, lorsqu'elle lui avait plus ou moins mentis en disant qu'elle voulait juste découvrir le monde et voyager. Mais grâce à lui, elle avait développé un amour pour la littérature et ça, c'était mieux que de partir prendre un train sans but précis.  

Il lui tendit les deux bouquins, ne cassant pas le silence et visiblement des retrouvailles émouvantes. Elle le remercia d'un chuchotement et ouvrit le bouquin pirate directement à la page de la photo, un sourire nostalgique aux lèvres. Elle se racla la gorge, le remercia une dernière fois et le silence revint rapidement avant qu'un détail ne lui revienne. 

- T'as dit, l'écriture est la même, il hocha la tête, Pourquoi ? Tu les as lu ? son coeur battait vite
- L'ile au Trésor, j'avoue, il caressa sa moustache, dans un geste gêné, mais c'était y a un moment et je t'avoue qu'entre temps, y a eu mon album et tout le bordel, alors j'en ai un vague souvenir. J'ai conscience que c'était privé, il joua un peu avec son verre de bière, et c'est pour ça que j'ai pas touché à celui d'Orwell. J'ai juste comparé le style calligraphique. 
- C'est hyper personnel, marmonna la blonde, remontant une jambe contre sa poitrine, fixant le rappeur sérieusement, les sourcils froncés
- J'suis désolé, sur le coup, ça m'avait intrigué et j'étais déjà trop dans l'histoire pour avoir la réflexion de m'arrêter quand j'ai compris que c'était bien trop perso, il grimaça, avalant une gorgée de sa bière, j'aime pas qu'on touche à mon carnet de note, reconnu-t-il, je suis vraiment désolé d'avoir violé ton intimité, il lâcha un rire, c'est glauque dit comme ça.
- J'avoue, sourit timidement Charly, mais ce qui est bizarre, en fait, c'est que j'étais persuadée de l'avoir perdu pour de bon et je m'étais fais à l'idée que le bouquin avait pu être lu par un inconnu, mais il est là, et t'es là, et ça me met mal à l'aise surtout parce que j'ai l'impression que tu peux me juger et- 
- Je suis personne pour te juger, j'en ai même parlé à personne, il haussa les épaules, j'suis le seul à avoir touché à ce livre, si déjà ça peut te rassurer. 

Elle se détendit imperceptiblement. Ken n'était pas quelqu'un de méchant et elle était effectivement heureuse qu'il n'ait parlé du bouquin à personne. Elle lui offrit un petit sourire timide et reprit son verre, le sirotant tranquillement en détaillant le rappeur. Il avait un air détendu et il avait quand même un charme particulier. Elle comprenait les groupies qui hurlaient son pseudo pour son physique, même si c'était naze comme comportement. 

- J'vais pas trop trainer, je dois encore aller au label signer quelques trucs, avoua le garçon 
- Je comprends, elle sourit, c'est pas trop dur d'être à la tête d'un label et de gérer sa carrière ? 
- C'est ... sportif, reconnu-t-il avec un sourire, mais j'ai les gars qui m'aident pas mal donc tranquille, on s'fait confiance. 

Ils parlèrent encore un petit moment de leur vie respective, elle était surprise de Ken lui pose des questions sur ses études et s'y intéresse à ce point, elle pensait qu'il était un homme occupé mais finalement, il avait du temps et était loin de l'idée qu'elle se faisait d'un mec connu. Il était humble et elle aimait beaucoup ça. 

Le rappeur, après le troisième coup de fils de Hugz pour qu'il vienne en studio, la quitta avec un dernier sourire en coin, comme il avait l'habitude de le faire, dévoilant une fossette. Il réajusta sa casquette et fondit la foule parisienne sans plus de cérémonie. Elle le regarda disparaitre et en fit de même, ses deux livres contre sa poitrine. 

Elle rentra rapidement chez elle, heureuse de retrouver un ventilateur et se jeta dans son lit, passant un long moment à détailler son bouquin, celui que Ken avait lu. Elle était surprise qu'il aime la lecture, déjà, enfin, bien sur, il avait fait plusieurs textes qui parlaient ou reprenait un titre de bouquin mais elle n'aurait pas cru qu'il ait lu ces livres là. Elle n'aurait même jamais cru que quelqu'un puisse accéder à ses pensées et ses remises en questions les plus profondes. Et ça ne semblait pas l'avoir perturbé plus que ça, parce qu'il n'avait fait aucun commentaire, aucune remarque. Elle aimait bien.