Chapitre 19

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Lyssandre dormit d'un sommeil agité.

Chaque heure lui imposait son réveil brutal et l'impression oppressante d'une chute sans fin. Chaque fois qu'il ouvrait les yeux, le noir dans la chambre inoculait sa part de terreur dans son corps endormi. Ce sentiment violent lui arrachait un cri bref et perçant. Un cri qu'au bout de plusieurs rappels, il étouffa dans la paume de sa main.

Il pressait ses doigts contre sa bouche jusqu'à ce que son souffle s'apaise. Puis, il se rallongeait et se pelotonnait entre les draps défraichis, imprégnés d'une ancienne odeur rance de ses précédents occupants. La nuit l'atteignait alors par vagues, léchait son corps à la dérive, avant que l'âme ne se retire à son tour.

Lyssandre n'avait vu la mer qu'une seule fois, mais il aurait juré que la sensation devait être similaire.

Dans la chambre voisine, le chevalier ne dormait pas. Dès qu'il fermait les yeux et sombrait dans une légère somnolence, l'agitation qu'il décelait à travers la porte ravivait sa vigilance. Les yeux fixés dans le noir, il n'éprouvait aucune peur, aucune crainte, peut-être seulement un peu de colère envers une faiblesse qu'il ne se connaissait pas.

De la colère ainsi qu'un soupçon de peine pour l'état déplorable dans lequel le roi se trouvait.

L'aube se présenta, au moins aussi pénible que les heures qui l'avaient précédée. Lyssandre quitta ses draps, que les courtisans auraient qualifié de guenilles, sans demander son reste. La nuit ne lui avait pas porté conseil, mais l'avait conforté dans une pensée simple : il n'était pas en droit de se plaindre, bien que sa peur nourrie à l'égard de la mort et le désespoir que représentait sa vie ne manquaient pas d'ambiguïté. Il emboita le pas au chevalier après s'être revêtu à la hâte et sans le soin qu'il portait d'ordinaire à son apparence.

En haut des escaliers qui menaient au rez-de-chaussée, le chevalier daigna accorder un regard en biais au roi. Il sembla à ce dernier que les yeux de l'homme le fuyaient avec plus d'application qu'à l'accoutumé.

— Vos cheveux, lâcha-t-il, du bout des lèvres.

— Oui ?

— Vous devriez vous les nouer.

Lyssandre tarda à obtempérer. Il faillit faire remarquer à cet homme son évident manque de manière, mais il était persuadé que ce reproche coulerait sur son visage fermé. Le chevalier n'offrait aucune possibilité, il n'y avait aucun espace sur le masque qui couvrait ses traits dans lequel s'engouffrer. Lyssandre réalisa à quel point il s'était détendu, bien que le terme ne corresponde décidément pas à son attitude, la veille, lorsqu'il l'avait laissé le toucher. Ce matin, un tel geste paraissait impensable, et le roi ne put s'empêcher de se sentir froisser par ce constat.

Le chevalier carra les épaules et sa neutralité fut inattaquable. Il ressemblait à n'importe lequel de ces gardes, exemplaires, silencieux, invisibles. Sans doute le souhaitait-il.

Lyssandre noua la cordelette de cuir autour de ses cheveux d'un geste souple et sa nuque apparut. S'il avait été moins absorbé par son propre geste, il aurait surpris le regard du chevalier. La discrétion de celui-ci fut exemplaire et ils quittèrent ensemble l'auberge après avoir salué sommairement le propriétaire des lieux.

Pour la première fois depuis qu'il avait été couronné roi, ce fut au tour du roi de se mirer dans l'ombre d'un autre. L'homme qu'il suivait savait manifestement ce qu'il faisait. Ainsi, lorsqu'il s'arrêta au bord de l'Anoma pour acheter un encas et dispenser quelques conseils, Lyssandre prêta à ses dires une attention démultipliée :

— Nous allons chercher à savoir comment la situation à évoluer ici. Si elle est suffisamment stable, nous pourrons espérer regagner le palais en compagnie d'une garde.

Longue vie au roi [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant