Artell acquiesça, impeccable dans son uniforme neuf. Il avait pris la peine de retirer les traces de saleté et de passer un coup de peigne dans ses cheveux grisonnants. Sa prestance militaire lui offrait une allure incontestable et c'était sans doute cela qu'Alzar jalousait.
Lyssandre se demanda s'il voyait en cet homme, pourtant bien moins influent qu'il l'était entre les murs du château, une sorte de rival. Le roi se contentait d'admirer l'aisance du général pourtant projeté loin du cadre habituel de ses fonctions, loin de la guerre. Artell ferait un excellent allié face à des ministres qui ne tarderaient plus à exprimer ouvertement leur mépris et leur réticence.
— Comme le roi l'a spécifié, je suis revenu du front ce matin avec plusieurs de mes hommes.
— Eh bien, votre retour peut-il nous laisser imaginer une victoire imminente ? se réjouit l'un des ministres, si usé par le temps qu'il paraissait avoir connu les règnes de Soann et de son prédécesseur avant lui.
— Je crains que nous, monsieur. En fait, la situation est délicate et c'est la raison de mon retour.
— Si c'est simplement pour cela, pourquoi n'avez-vous pas simplement fait quérir un messager ? Cela aurait été moins coûteux, en temps comme en moyen, que de faire déplacer la moitié d'un régiment.
Lyssandre avait d'ores et déjà le sentiment d'arbitrer un duel. Artell se dressait face à des hommes qui possédaient une vision bien personnelle de la guerre. Une considération erronée et souvent éloignée de ce que pouvait être la réalité. Le chevalier portait sur eux un regard saturé de mépris. Il les connaissait, ces pantins suffisants et pour lesquels les combats ne formaient guère plus qu'un divertissement vaguement dangereux.
C'étaient ces mêmes hommes qui les envoyaient mourir loin de chez eux.
— La moitié de ce régiment a été annihilée, messieurs, énonça Artell, avec une douceur teintée d'un reproche infime. Les hommes qui ont survécu sont ceux qui m'ont accompagné jusqu'au château. La plupart est blessée ou traumatisée. Ils ont combattu bravement durant des années au nom de Loajess. Je les ai menés jusqu'ici pour qu'ils puissent bénéficier d'une retraite hautement méritée.
— Ont-ils été de braves soldats ? demanda Lyssandre.
Sans savoir si cette question était la plus appropriée, lui qui ne connaissait pas les usages de la guerre, sa question n'était que décorative. Après avoir rencontré ces soldats hantés par la fureur des combats, Lyssandre était incapable de leur refuser ce retour dans leurs foyers. Ils avaient sacrifié des années à la violence et à la destruction d'autrui. Après avoir été confronté pour la première fois à une vraie forme de violence, physique et non morale, Lyssandre se doutait à présent qu'on ne pouvait revenir indemnes du front. Ces soldats avaient sacrifié leur jeunesse et leurs vieux jours, qui appartiendraient aux souvenirs cauchemardesques qu'ils s'étaient construits. La réponse, à compter du moment où cette pensée frôla le roi, avait tout d'une évidence.
— Oui, Sire, il s'agit de braves soldats pour lesquels je demande une retraite anticipée. Ils ont servi honnêtement et courageusement Loajess.
— Comme tout soldat se doit de le faire ! martela un homme, réanimé par le sujet de la conversation. N'est-ce pas leur rôle ? Combattre pour Loajess est un honneur et une chance leur est donnée de s'illustrer, de donner à leurs malheureuses existences un sens.
— C'est juste, confirma Artell, sans jamais hausser le ton, ses sourcils froncés sur un regard sage trahissait son mécontentement.
Le rapport que pouvait entretenir Loajess avec la guerre avait entraîné des besoins en hommes toujours plus exponentiels. Si d'abord, seuls les fils de puissantes familles citoyennes avaient été autorisés à porter l'épée et à défendre le Royaume, eux qui combattaient pour l'honneur, pour le salut d'un pays auquel ils tenaient profondément.
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Longue vie au roi [BxB]
Fantasía« Longue vie au roi ! » Jamais Lyssandre n'oubliera ces clameurs. Le trône lui est promis à la mort de son père et ce cadeau empoisonné ne se refuse pas. Hanté par le souvenir des défunts et par la mémoire d'un frère auquel il a volé la place, Lyss...