Dans la pâleur mortelle de la lune, Lyssandre avait blêmi. Cassien, car il s'agissait bel et bien de cette figure du passé, fuyait avec application son regard. Il se sentait désagréablement vulnérable et haïssait ce sentiment, cette faiblesse qu'il ne se connaissait pas. Il n'y avait que ce maudit roi pour lui inspirer une telle insuffisance et il aurait pu le maudire pour cela.
Curieusement, le chevalier se sentait insignifiant, d'une indicible médiocrité. Il venait d'avouer, d'admettre sa faute, il devrait se sentir soulager. Le poids qui écrasait ses épaules s'était envolé, mais en partie seulement, car désormais que Cassien n'avait plus ce titre honorable et impersonnel pour le désigner, il se sentait comme mis à nu.
Il redevenait l'adolescent d'autrefois, un adolescent incapable de supporter le fléau de la guerre. C'était au nom de son innocence déchue qu'il avait créé ce rôle. D'abord celui du soldat de plus en plus imperméable, puis celui du chevalier, orphelin de nom, dépouillé d'identité. Une page vierge sur laquelle il aurait pu observer les fondements d'une nouvelle vie. À quel moment ce noble projet lui avait-il échappé ? Lorsque Lyssandre avait glissé ses lèvres sur les siennes, lui avait rendu son souffle et lui avait rappelé comment respirer ? Ou bien avant, lorsque leurs regards s'étaient brièvement croisés, le jour du couronnement ?
À l'instant où il avait prononcé son véritable nom, au moment où il avait mis au jour l'ignoble mensonge qui était le sien, Cassien s'était su condamner. Il avait compris qu'il n'existait plus aucune issue pour lui et que, malgré ses moultes tentatives, il avait perdu. Un homme aussi vulnérable que Lyssandre, qui serait incapable de lui tenir tête, venait de remporter ce duel engagé dès lors qu'ils s'étaient connus.
Connus, ou reconnus.
Cassien fuyait le regard du roi pour ne pas y lire la vile marque de la trahison et celle, pas si lointaine, de la trahison. Le haïssait-il ? Lui pardonnerait-il sa faute ?
— Quand ?
Cassien faillit accuser un lourd sursaut. Sa large carrure frémit à peine et il se perdit dans la contemplation de Farétal. Ce démon bâti par une forêt riche et luxuriante.
— Je ne suis pas certain de comprendre le sens de votre question, Sire.
— Laissez tomber les politesses d'usage, il me semble qu'elles n'ont plus raison d'être. Je réitère mon interrogation : quand ?
— Je...
— Quand comptiez-vous me le dire ?
Douloureusement, Cassien se retourna vers le roi. Il n'eut pas le temps de se pencher sur les larmes qui brillaient dans son regard, plus nombreuses, plus prometteuses que celle qui avait roulé sur sa joue le soir de l'attentat d'Halev. Il ne permettrait pas de les voir perler sur la peau de nacre de Lyssandre. Cette pensée le faucha, avec tout ce qu'elle supposait, bien plus d'aveux que ce que le chevalier pouvait accorder, juste avant que le monarque tempête :
— Vous me parliez de combat tout à l'heure, pensez-vous qu'il est... brave, pour un soldat, de mentir, de tromper, de duper et de se... moquer de son ennemi ? Pensez-vous avoir fait preuve de courage, de toutes ces honorables qualités que vous prétendez représenter ?
Sa voix ne s'élevait pas plus haut qu'un murmure, mais la colère dont elle était chargée n'en apparaissait que plus féroce.
— Je ne suis pas votre ennemi, souffla le chevalier.
— Vous m'avez traité comme tel.
Lyssandre captura une émotion sur le visage de Cassien. Une émotion brute, honnête, à mi-chemin entre la honte et la tristesse. Son courroux désenfla brutalement et il arbora l'expression digne d'un animal blessé.
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Longue vie au roi [BxB]
Fantasía« Longue vie au roi ! » Jamais Lyssandre n'oubliera ces clameurs. Le trône lui est promis à la mort de son père et ce cadeau empoisonné ne se refuse pas. Hanté par le souvenir des défunts et par la mémoire d'un frère auquel il a volé la place, Lyss...