Chapitre 33

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Olorn était un riche négociant implanté à Halev. Après avoir écumé Loajess, en avoir découvert chaque facette, il avait fini par se lasser de ces voyages et s'était installé au cœur de la capitale. Non seulement sa fortune faisait de lui une figure quasi incontournable, mais il était respecté en raison de son expérience. Il était, de surcroît, bon conseil et s'il appartenait à famille nouvellement arrivée et s'il était l'un de ces hommes qui devait leur réussite à leur seule personne, nombre de puissantes lignées recueillaient son opinion. Officieusement, bien entendu, car il n'était pas question d'être associé à un pareil personnage.

Pour cause, Olorn était pour le moins exubérant autant dans sa manière d'être que dans son attitude. Prétendre qu'il ne passait pas inaperçu tenait de l'euphémisme. En fait, il se jouait de ces règles dans lesquelles la noblesse se noyait et dont il se moquait éperdument. Il n'avait pas peur de prendre des risques, de nager à contre-courant et à faire fi du danger. Il avait bâti un empire commercial qui prospérait désormais à Halev, entre les multiples spécialités de la capitale et des nouveautés dites exotiques, il connaissait les risques. Pire, il s'amusait à les provoquer, car le triomphe était le fruit d'audaces et non de craintes ingénues.

Logé au cœur de la ville, il disposait d'un bureau confortable à l'Episkapal. Après une journée qui touchait doucement à sa fin, il le rejoignait afin de régler quelques affaires urgentes. Olorn se faisait vieux, il l'avouait à demi-mot, et du haut de ses cinquante ans, il rêvait davantage d'un paradis dans lequel s'implanter plutôt que d'un nouvel exploit. De fait, il songeait à léguer ses affaires et à s'en aller.

À foutre le camp, aimait-il préciser, pour le plaisir de voir le visage des nobles se tordre de désapprobation.

Afin de mener à bien cette ambition, Olorn mettait de l'ordre dans ses affaires, préparait avec soin son départ. Il y avait des choses qui méritaient une attention toute particulière et le négociant ne l'ignorait. En fait, il avait cette pensée en tête à longueur de journée et, au moment où il franchit le pas de son bureau, un épais cigare coincé entre les lèvres, celle-ci l'obsédait toujours. Au point où il ne releva pas immédiatement la présence inhabituelle qui avait investi les lieux et qui avait poussé la bravoure, ou l'inconscience, jusqu'à s'asseoir sur le siège d'Olorn.

L'homme s'immobilisa sur le seuil de la porte, mais ne se laissa pas surprendre bien longtemps. Il n'était pas de ces adversaires décontenancés pour un rien et avait construit sa réputation sur cette exubérance nuancée par un contrôle sans bavure. Néanmoins, sa rivale n'était pas moins impressionnable.

— Monsieur, le salua Calypso, après avoir fait roulé dans le verre un alcool à la robe dorée.

— Madame, estimez-vous chanceuse que je ne sois pas un nerveux et que je n'ai pas eu à votre encontre un geste malencontreux avant de m'assurer de votre identité.

— C'est prévenant de votre part et je dois avouer que m'introduire chez les gens ne figurent pas parmi mes habitudes. Les circonstances s'y prêtent et il faut bien que le titre qui m'est assigné me soit utile. Il l'est plus ou moins lorsqu'il s'agit d'ouvrir des portes, même lorsqu'on n'est qu'une femme.

— Homme ou femme, je serai ravi de me mesurer à nouveau à vous aux échecs.

— Lorsque cette sordide affaire sera derrière nous, ce sera avec plaisir.

Calypso sous-entendait évidemment une défaite, voire une humiliation, qu'elle réservait au négociant. Il était un excellent joueur, l'un des meilleurs qu'elle n'ait jamais affrontés, mais il perdait sans cesse lorsqu'il organisait une partie face à elle. Si elle n'avait pas manqué de temps, elle aurait volontiers épilogué à ce sujet.

Longue vie au roi [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant