Chapitre 17

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Le prince Lyssandre de Loajess était captif de son propre château.

Prisonnier de cette chambre trop vaste pour lui et dans laquelle il pourrait aisément se perdre.

Il guettait l'extérieur d'un œil avide et prudent. L'extérieur dans toute son immensité et non l'espace limité qu'il entrevoyait depuis sa prison. Cet inconnu faisait de lui un assoiffé d'ailleurs autant qu'un garçon trop peureux, trop lâche et trop faible pour s'y aventurer.

Plus encore que cela, le prince en avait une conscience très nette.

Nette, mais pas moins douloureuse.

Dans le reflet de la fenêtre, Lyssandre capta les lignes imprécises de son visage. Derrière les rondeurs caractéristiques de l'enfance se teignaient déjà une finesse inhabituelle. Déjà, on se retournait sur son passage pour s'étonner. Le dernier fils de Soann possédait une beauté déjà indéniable, de celle qui attiserait moultes convoitises lorsque le garçon serait en âge de trouver une épouse, mais une beauté trop délicate pour être le fait d'un homme.

En fait, Lyssandre de Loajess possédait le charme, les traits finement découpés d'une jeune femme.

Comme bien des adolescents, il cherchait à s'approprier ce reflet. Sans prétendre qu'il haïssait ce que celui-ci lui renvoyait, il peinait à s'y retrouver. Sans vanité, il ausculta ce reflet changeant jusqu'à ce qu'un rayon de soleil ne le dissipe. Il décortiqua ces pommettes hautes, ces mèches qu'il refusait de couper et qui renforçaient cette allure androgyne qui passait pour un caprice d'adolescent. Lui ignorait quoi en penser, il avait le sentiment d'apprécier cette différence sans être sûr que cela soit pour les bonnes raisons. Peut-être aimait-il seulement sortir de l'ombre dans laquelle la famille royale s'acharnait à le plonger ? Lui, le fils décevant et dont on ne tirait rien de plus qu'une outrageante sensibilité. Il redessina la forme droite, raffinée, de son nez, les lèvres étroites et dessinées, les yeux étirés sur les tempes et bordés de deux rangés de cils blonds. Le reflet ne rendait pas justice à l'éclat vif de ses prunelles vertes ni même à la pâleur laiteuse de sa peau, mais lui renvoyait ce que tous d'admirer.

De répugner.

Le jeune prince avait fêté ses quatorze ans la veille et le calendrier qui ornait le mur à côté de la grande fenêtre indiquait l'année 426.

Sa jeunesse ne lui épargnait pas le poids de ses pensées, car Lyssandre avait déjà prouvé qu'il ne serait pas un homme d'actes, mais un homme de réflexions. Il savait que ce reflet, ce corps délicat dont certains commençaient à rire, n'appartenait pas qu'à lui. Chaque personne qui posait son regard sur son visage le modelait, lui ôtait une part de ce qu'il était. Cette vulnérabilité, l'influence qu'autrui pouvait jouir sur lui, cette sensibilité déchirante, ne cesserait de trahir un mal profondément ancré.

Plusieurs coups furent portés au battant et éloignèrent Lyssandre de lui-même.

— Entrez, ordonna-t-il, d'une voix faussement placide.

La porte s'ouvrit et, incapable de ne pas jeter un œil derrière son épaule, Lyssandre découvrit Nausicaa. Âgée de douze ans, celle qui hériterait un jour du titre de baronne n'avait rien d'une enfant née d'une très noble et très ancienne famille. Échevelée, l'adolescente ne prêtait aucune attention à ses manières et Lyssandre s'étonnait qu'elle ait pensé à toquer. Sa jeune amie ne s'embarrassait pas de pareilles pertes de temps, d'ordinaire.

— Tu ne devrais pas être ici ! s'écria le prince, après avoir quitté le rebord de la fenêtre sur lequel il était perché.

Longue vie au roi [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant