Chapitre 15

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Halev.

La capitale de Loajess grouillait d'une agitation aussi commune qu'inhabituelle. La ville représentait le cœur judiciaire, économique et en partie politique, là où le palais tenait lieu de symbole, du Royaume. De fait, ses habitants ne connaissaient jamais le calme et plus on se rapprochait des extrémités d'Halev, de ses huit côtés parfaitement parallèles, plus ce brouhaha se faisait anarchique. Plus on approchait les plus pauvres quartiers également.

La fierté de la capitale n'était pas ses plus lieux les plus misérables, on tâchait plutôt de les oublier, eux et le souci qu'ils causaient aux administrateurs et aux fonctionnaires, trop peu nombreux et trop occupés, de l'État. Pour mettre la main sur le joyau d'Halev, il fallait gravir les rues, s'infiltrer entre ces boyaux à l'anatomie parfois inventive lorsqu'on s'égarait dans les plus bas quartiers. Il fallait ensuite traverser les passages plus éclairés, dans lesquels se rassemblaient quelques riches commerçants ainsi que des artisans réputés pour la qualité de leurs ouvrages. Ces rues débouchaient lumineuses débouchaient sur quelques places mineures et les allées centrales de la capitale. Enfin, exposée fièrement à la vue de tous, l'Episkapal. Le lieu emblématique qui rassemblait la cour de justice, les assemblées des riches citoyens, et toutes les institutions sur lesquelles reposait la survie de Loajess.

L'Episkapal correspondait à un ensemble de bâtisses intimement reliées les unes aux autres. Un complexe étonnant soutenu par des colonnes et par d'épais murs immaculés. On prêtait à ce gigantesque monument un charme ancien et une histoire édulcorée, tournée en la faveur de ces puissants, et qui imprégnait la tradition des habitants de la capitale. En un jour ordinaire, les gens se pressaient déjà à l'intérieur, afin d'assister à un procès, de réclamer vengeance pour un sévisse quelconque, ou pour bien d'autres motifs. C'était ici que la vie politique, économique et judiciaire de Loajess se cristallisait. De cette manière, l'Episkapal jouissait d'un prestige équivalent de celui du palais royal et de sa figure maîtresse.

Ce jour-ci n'avait rien d'ordinaire et si les rues avaient été vidées de ses habitants tôt le matin, l'agitation ne s'amoindrissait pas. Bien au contraire. Les milliers de sujets que comptait Halev donnaient à celle-ci un sentiment de mouvement perpétuel, de vie sans fin, que cela se révèle rassurant ou que cela suscite un rude sentiment d'insécurité.

Lyssandre, lui, n'était la proie ni de l'un ni de l'autre. L'horloge de la capitale sonnait midi dans son dos et il contemplait les balcons des bâtisses au loin. En signe de soutien, de deuil peut-être, des mouchoirs rouges avaient été suspendus aux fenêtres. Pourquoi le rouge ? En rappel à la fin tragique qu'avait connue le prince héritier ? Halev rougissait, se parait de plusieurs centaines de gouttes de sang.

Enfin, le cortège put débuter. Lyssandre avait supervisé quelques préparatifs, avait pris quelques décisions mineures et imposé l'un ou l'autre caprice. Il n'avait cependant pas eu à insister pour ajouter dans le défilé une forte imprégnation militaire. Des soldats décorés, des vétérans et des héros de guerre avaient été invité à se joindre au cortège commémoratif. La mémoire d'Hélios se devait d'être rappelée à Halev de la plus symbolique des façons. Les soldats en uniforme, leur démarche militaire et leur impeccable rigidité évoquaient la virtuosité du défunt.

Au loin et au cœur de cette foule disciplinée, Lyssandre apercevait le lourd cercueil. Hélios y avait pourri durant un an et il était désormais temps de transférer son corps auprès de tous les autres. Le Dauphin gouterait au repos éternel et prématuré.

Lyssandre sentit son cœur s'enfoncer dans sa poitrine, creuser la matière spongieuse de ses entrailles, à mesure que le cercueil approchait. Six hommes le déplaçaient à bout de bras et avec une solennité qui paraissait sincère. Malgré cela, malgré la peine de convenance que tous exposaient, peut-être pour épargner le frère du défunt, peut-être aussi par obligation, Lyssandre était au supplice. Il avait envie de se jeter dans cette cohorte de soldats vêtus comme s'ils partaient en guerre, en guerre contre les dommages de la mort, et de leur arracher son frère. Il était à la fois touché de la douleur que d'autres partageaient, une manière pour lui de se soulager d'un peu de la sienne, et outré par ces mines éplorées. Ils n'avaient pas connu le frère que Lyssandre avait perdu et, en cela, cette tristesse que les diplomates exhibaient comme un trophée, devenait infâme.

Longue vie au roi [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant