Lyssandre avait capturé l'aurore.
Il s'était réveillé avant même le lever du jour. Le paysage était gris lorsqu'il s'était extirpé de ses draps tièdes. Il avait chassé l'envie de s'y cacher comme lorsqu'il était enfant et que la nuit l'effrayait, que son souffle glacé lui arrachait des hoquets mouillés. Il avait toujours vécu avec la conscience approximative de ce que pouvait être les responsabilités. Du moins l'avait-il cru.
Désormais que de véritables obligations pesaient sur ses pensées, il ne pouvait plus se permettre de flâner inconsciemment dans les couloirs, de fuir ses gouvernantes et de se cacher de ceux qui réclamaient son retour.
Ainsi, il avait troqué une matinée paisible, un réveil bercé par le jeu du soleil sur son visage froissé par le sommeil, pour une promenade matinale. Il avait d'abord écarté les rideaux de sa chambre pour laisser cette lueur fade, monochrome, baigner l'obscurité devenue inquiétante de la pièce. Cette lumière pâle, comme un rayon de lune, s'était jetée sur son lit aux draps défaits, sur les sièges éparpillés, sur l'élégance avec laquelle les meubles avaient été arrangés.
Pas encore tout à fait réveillé, les pieds nus sur le sol froid, Lyssandre frissonna. Les quelques montagnes qui bordaient le plus lointain horizon délimitaient la terre. Le soleil ne tarderait plus à s'y fondre et à écraser ses nuances fades, douces, tendres, à la surface du monde. Lyssandre fut captivé par cette vision, par le sentiment d'être seul au monde, et lorsqu'il enfila ses habits d'un geste fébrile, cette pensée ne le quitta pas.
Il s'aventura dans les couloirs de l'aile du château réservée au roi et à son entourage proche. Plus loin se situaient les appartements des courtisans et, dans sa précipitation, le souverain se rappela de ne pas s'y égarer. Il emprunta un couloir plus étroit, descendit l'escalier du roi, immense et vive représentation du narcissisme de ses prédécesseurs, et traversa un nouvel amoncèlement de couloirs. Sous les arcades, il aperçut le ciel encore noir. Il pâlissait à peine face à l'avancée inéluctable du jour. L'espace d'un instant, il avait oublié son fardeau. Il respirait à peine, perdu dans sa contemplation.
Ce matin, le jour se laisserait cueillir.
Un monde sans couleurs s'offrait, pudique, presque insignifiant. Avant que le premier rayon ne donne au château ses premières vraies couleurs, un faisceau gris s'égara sur l'une des quatre tours du palais. La tour Est.
Lyssandre hésita un très bref instant. S'il devait partager ce lever de soleil avec quelqu'un, ce devrait être avec la personnalité oubliée que renfermait cette tour.
Il entreprit alors de gravir les marches, le souffle coupé par l'ascension. Les marches qui s'enroulaient autour de la structure de la tour paraissaient sans fin. Personne ne se risquait à s'aventurer jusqu'ici et pour cause, les courtisans en avaient l'interdiction. Les gardes postés à l'entrée et la défense d'approcher ne formaient pas les uniques dispositions mises en place par Soann pour éviter que quiconque découvre celle qui grandissait à l'intérieur de ce secret outrageusement gardé. Le roi avait mis en place mille stratagèmes afin que nul n'ait connaissance de son secret. Les rares personnes qui avaient eu le malheur de le découvrir avaient immédiatement été chassés du palais et s'ils avaient décidé de se montrer trop bavards, le roi avait toujours trouvé un moyen de les faire taire.
Lyssandre était l'un des rares autorisés à gravir ses marches, bien que Soann avait longtemps veillé à ce que ses deux fils n'avisent pas à y mettre les pieds trop souvent. Une sotte précaution à laquelle Lyssandre mettait un terme en cette matinée printanière.
Il atteignit le sommet de la tour. La main crispée sur la poignée, le front luisant d'une sueur glacée, il finit par céder à son impulsion. En passant le seuil de la porte, il reniait la pensée de son défunt père et assumait la responsabilité, l'existence d'un héritage maudit que Soann n'avait jamais su accepter. En s'invitant à l'intérieur de cette vaste chambrée, il démontrait une bravoure dont son géniteur n'avait pas été doté.
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Longue vie au roi [BxB]
Fantasy« Longue vie au roi ! » Jamais Lyssandre n'oubliera ces clameurs. Le trône lui est promis à la mort de son père et ce cadeau empoisonné ne se refuse pas. Hanté par le souvenir des défunts et par la mémoire d'un frère auquel il a volé la place, Lyss...