Le Temps Des Sortilèges- Tome 3 - Un Don Pour L'éternité

VI

Les yeux rivés sur son assiette pleine d'une multitude de mets plus appétissants les uns que les autres, Natacha n'osait pourtant pas en toucher un morceau, l'estomac noué d'une appréhension dont elle ne connaissait pas vraiment l'origine. L'atmosphère joyeuse de ce banquet la rendait vraiment mal à l'aise et la décourageait d'avance pour le reste des festivités. Après sa discussion avec Guillaume un peu plus tôt dans l'après-midi, celui-ci avait conservé une attitude étrange envers elle, et la demoiselle le connaissait suffisamment pour savoir qu'il lui cachait quelque chose. Seulement, si elle avait  tenté de lui faire cracher le morceau, par tout les moyens possibles, le châtelain avait habilement évité ses questions, agaçant passablement la demoiselle qui en avait plus qu'assez de ses petites cachotteries.

 L'information la concernait directement, elle se donnait donc le droit de savoir ! Pourquoi diable cherchait-il à en dissimuler autant ?! La frustration d'être ainsi maintenue dans l'ignorance était certainement l'un des pires sentiments que la blondinette pouvait ressentir et créait une profonde insécurité au plus profond d'elle. Avec toutes les aventures qui lui arrivaient, les surprises n'étaient pas vraiment le genre de chose qui la réjouissaient. Elle avait bien tenté de cuisiner Tristan et Charlie afin de grappiller quelques informations mais ceux-ci s'étaient révélés tout aussi ignorants qu'elle. Jetant un regard assassin à Guillaume qui se ratatina légèrement sur son siège, elle souffla de frustration avant de se focaliser de nouveau sur sa nourriture, qui n'avait pas bougé d'un millimètre, sans toutefois chercher à l'entamer. Sa mauvaise humeur étant devenue son quotidien, elle s'énervait d'autant plus facilement qu'elle ne respirait, et rongeait son frein à l'idée de se retrouver dans une situation plus embarrassante encore. Malgré tout, elle était aussi décidée à ne pas gâcher les festivités données par le monarque qu'elle appréciait, et faisait son maximum pour dissimuler ses mauvaises ondes pour le restant de la soirée.

De son côté Guillaume percevait sans mal la colère dissimulée de la jeune femme, qui, tel un prédateur affamé, attendait le bon moment pour jaillir et sauter sur sa proie. Du coin de l'œil, il pouvait voir à quel point la situation pouvait s'empirer pour son cas, et cela l'empêchait de se concentrer sur les conversations des convives autour de lui. Il lui semblait avoir enclenché une bombe à retardement qui promettait certainement un carnage funeste. Il regretta immédiatement de ne pas l'avoir prévenue des intentions du Roy, ayant mieux valu pour lui de lâcher l'information avant le début de la fête. 

La demoiselle le fixa un instant et le jeune homme oublia d'éviter son regard, happé par la lueur presque ocre de ses deux iris. Pensif, il commença à se préparer mentalement à une nouvelle déferlante d'injures et de remontrances de sa part, cette nouveauté étant devenue leur quotidien à chaque instant où ils se trouvaient ensemble depuis leur retour au Moyen-Âge. Mais la jeune femme ne lui fit même pas l'honneur de desserrer ses lèvres. Elle se contenta de le toiser avec un dédain plus qu'éloquent, qui vexa l'intéressé.

Une vague d'incompréhension le prit soudain. Il avait beau l'aimer comme un fou et le lui démontrer autant qu'il le pouvait, la demoiselle se montrait de plus en plus froide et réticente. Naïvement, il avait pensé que la voir choisir de revenir dans son époque révélait qu'elle acceptait enfin leur relation, mais c'était tout le contraire, car elle n'avait de cesse de les faire reculer dans ce chemin qu'ils parcouraient ensemble. Il en était même venu à se demander si Ira n'était pas une nouvelle fois responsable de tout cela, mais d'après son gardien, ce démon n'avait joué aucun rôle dans ce radical changement d'attitude. 

Dieu qu'elle était compliquée et Lui seul savait qu'il était impossible d'essayer de la comprendre une seule seconde. Il admettait qu'il était loin d'être parfait, que plusieurs fois son indélicatesse avait pris le dessus et qu'elle le punissait souvent à raison, mais plus le temps passait et plus l'amour qu'il ressentait pour elle devenait un sentiment douloureux et non une source de bonheur comme il avait pu le ressentir à leurs débuts. Méritait-il de souffrir à ce point ? Pourquoi était-elle incapable de voir tout ce qu'elle représentait pour lui ?! Se voilait-elle le regard ? Son indécision lui était devenue cruelle et le rendait plus fou qu'il ne l'était déjà. Il lui jeta un long regard et la froideur des iris de Natacha à son égard fit germer pour la première fois en lui depuis qu'il la connaissait, le spectre du désespoir et les prémices de l'idée d'abandonner. Il désirait plus que tout parvenir à ses fins, et se battre jusqu'à la mort pour elle, mais si elle ne le voulait pas, à quoi bon ?