Cannibales

Chapitre 16 - partie 1

[J + 466]

Le jour s'était levé depuis quelques heures déjà. Eva était allongée dans son lit médicalisée ; les rayons du soleil lui chatouillaient les orteils. Elle fixait le plafond en repensant à sa conversation de la veille. Son plan d'évasion reposait sur l'aide d'un autre résident et Xavier était le seul qui aurait pu sembler disposé à les aider. Personne d'autre n'avait donné de signe indiquant vouloir partir de l'Institut, du moins pas clairement. La jeune femme était principalement en contact avec le personnel soignant – trois anciens infirmiers et infirmières – qui avaient l'air de se plaire ici. Elle n'avait pas eu l'occasion de faire connaissance avec beaucoup plus de monde et de sonder les comportements. En d'autres circonstances, elle aurait pris son mal en patience pour mettre au point un stratagème qui tienne la route, mais elle manquait cruellement de temps. Une violente contraction la sortit de ses pensées et lui rappela une nouvelle fois avec douleur l'urgence de la situation. Elle grimaça puis se mit à souffler fort pour se calmer. Quoiqu'il arrive elle s'était promis de ne jamais paniquer et de garder l'esprit clair. La lourde porte en bois s'ouvrit alors en grand et Mathieu débarqua comme une fleur avec son aisance et sa suffisance, décrochant à la jeune femme un roulement des yeux ennuyé.

- Comment va ma future maman préférée ? Demanda-t-il, un sourire en coin.

L'intéressée se garda bien de répondre et reposa sa tête sur l'oreiller en fixant la direction opposée pour lui signaler le mécontentement que lui inspirait sa présence. Le gérant des lieux ne se laissa pas abattre pour autant et s'assit sur le bord du lit.

- On m'a mis au courant que l'accouchement était pour bientôt. J'ai hâte de voir la bouille de ce petit bout. Vous connaissez le sexe ?

Eva prit sur elle pour ne pas le fusiller du regard. Elle tourna la tête vers lui et afficha son plus beau sourire. Après tout, il fallait encore qu'elle joue le jeu pour ne pas éveiller les soupçons sur son envie de fugue. Elle posa ses mains sur son ventre avec tendresse avant de répondre :

- Non, aucune idée. Mais j'ai le sentiment que ce sera un garçon.

- Fantastique ! Des idées de prénoms ?

- Quelques pistes, mais je préfère attendre le papa pour prendre une décision, répondit-elle.

Elle ne pût s'empêcher de le défier un petit peu. Le preneur d'otage feint un sourire dans lequel on pouvait lire une bonne dose d'ironie. Il avait totalement compris la pique de son hôte mais préféra ne pas réagir. Il resta digne, se releva, la salua, et partit vaquer à ses occupations journalières. Eva, elle, déchargea toute la haine et la crainte qu'elle éprouvait pour cet homme une fois celui-ci parti sous la forme d'un long et intense soupir.

Après de longs instants, elle se décida enfin à descendre prendre son petit déjeuner. Le service était fini depuis bientôt une heure mais son statut de femme enceinte lui permettait un traitement de faveur qu'elle n'avait aucune honte à faire valoir. Elle s'installa donc dans la grande salle commune et on lui apporta une belle assiette de fruits accompagnés d'amandes ainsi qu'un verre de lait. Lexie et Ugo la rejoignirent. Elle partagea son repas avec le petit garçon qui clamait avoir encore faim. Alors qu'elle prenait une dernière bouchée d'abricot, elle remarqua que Xavier se tenait dans un coin de la pièce. Il faisait mine d'observer les enfants jouant dans la cour depuis la fenêtre mais jetait un œil anxieux vers elle à intervalle régulier. Lorsqu'elle réussit enfin à capter son regard, il l'invita très discrètement à le suivre d'un signe de tête à peine perceptible. Il quitta ensuite la salle commune et emprunta les escaliers. Eva s'excusa auprès de ses jeunes camarades et lui emboîta le pas après quelques dizaines de secondes pour ne pas rendre la chose trop évidente. Elle préférait se montrer précautionneuse à outrance au vu de la dictature qui régnait en ces lieux. Arrivée au premier étage, le professeur lui fit signe à moitié caché par un encadré de porte. Elle se pressa et entra dans ce qui semblait être sa salle de classe ; il referma derrière elle.