Chapitre 14

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- En place, à vous.

- En place.

- On arrive.

Une petite voiture grise bruyante couverte d'une pellicule de poussière terreuse avançait doucement sur le périphérique. Elle traînait derrière elle une bonne dizaine de boîtes de conserve métalliques, reliées à l'attache-caravane par des cordelettes plus ou moins longues. Leur balade saccadée sur le revêtement de la route faisait retentir un boucan assez désagréable. Quelques mètres plus loin, des cannibales suivaient le véhicule braillard avec avidité. Il ne s'agissait pas d'une poignée de morts vivants égarés ou d'un petit groupe d'une vingtaine d'entre eux ; non. C'était une horde colossale qui déferlait sur l'asphalte, leurrée par la petite voiture grise. Le râle commun de ces centaines de créatures s'élevait dans les airs et résonnait presque plus fort que le moteur pétaradant allié à la danse folle des conserves de métal. Cet hymne macabre emplissait les alentours et s'insinuait entre les arbres, au détour des immeubles et à travers les fenêtres. Il agressait les oreilles et réveillait les peurs. Il ne pouvait annoncer que le pire.

Dans l'habitacle, Erin était au volant, accompagnée de Marc sur le siège passager, talkie-walkie en main. L'appréhension et le stress se lisaient parfaitement sur leurs visages, mais ils étaient concentrés sur leur mission. Ils étaient déterminés à la mener à bien ; rien ne pourrait les en empêcher.

- On sera bientôt dans la ligne de mire des gardes. A vous de jouer, dit le mécanicien d'un air grave dans le combiné de son appareil.

- Kévin, t'es prêt ? Demanda Yoann entre deux grésillements.

- C'est bon, j'y vais, répondit l'intéressé.

L'adolescent était posté dans un bâtiment désaffecté, tout proche du périphérique et de l'entrée Est de la Cité. Il s'était installé à une fenêtre du dernier étage d'où il gardait les soldats – en haut de leur tour de guet – dans le viseur de son arbalète. Kévin se positionna bien fermement sur ses appuis et tira la première flèche dans leur direction. Celle-ci alla se loger profondément dans le bois de l'un des poteaux qui soutenait le toit artisanal de ladite tour. Surpris, les deux gardes se tapirent et mirent leurs fusils d'assaut respectifs en joue, pointés en direction d'où provenait le projectile. Ils ne tirèrent pas. Sans avoir localisé précisément la menace, ils ne voulaient pas gaspiller de munitions. Leur assaillant fantôme décocha une seconde flèche qui se planta dans la rambarde, tout proche de l'épaule de l'un d'eux. Ils relevèrent la tête, mais il leur était impossible de détecter le tireur ennemi. Kévin avait pris soin de se dissimuler au mieux et n'attaquait que lorsque ses cibles regardaient ailleurs. Il ne voulait pas les blesser, simplement détourner leur attention quelques instants.

Pendant ce temps, Yoann s'était faufilé derrière les buissons bordant le périphérique, au plus près des grandes portes de la Cité. Il profita de la diversion pour sortir à découvert sur la route, protégé par sa combinaison de kevlar et un casque de moto. Il portait à bout de bras et non sans difficultés une structure triangulaire très imposante. Elle était faite de plaques de ferraille assemblées entre elles avec des tiges de fer. La confection était artisanale mais l'objet semblait solide. Il le plaça à environ trois mètres devant l'entrée des portes puis détala en vitesse, alors que les gardes acculés par la pluie de flèches lançaient l'alarme en appelant du renfort. Une fois son coéquipier à l'abri, Kévin cessa ses assauts et décampa en vitesse de son perchoir.

- Erin, Marc, c'est à vous ! S'exclama Yoann dans son talkie-walkie.

A ces mots, la conductrice pressa l'accélérateur et prit un peu d'avance sur la horde de cannibales qui les suivait de près, avant de stopper le véhicule. Marc en sortit. Il accrocha sa radio à sa ceinture, où était déjà harnachés un pistolet et un long couteau. Il défit ensuite les cordelettes de l'attache caravane et se mit à guider les morts vivants à pied en traînant les boites de conserves derrière lui, alors qu'Erin repartait en voiture. L'ingénieure arriva en vue des hautes portes de fer de la Cité qui se dressaient au loin devant elle. Elle arrêta une nouvelle fois la voiture au milieu des voies, régla l'angle du volant avant de le bloquer en place, puis sortit de l'habitacle en laissant le moteur tourner. Elle récupéra ensuite un lourd parpaing resté sur la banquette arrière et le posa sur la pédale d'accélérateur pour l'enfoncer au maximum. La voiture se mit à avancer d'abord doucement – permettant à la jeune femme de courir à côté le temps de refermer la portière – puis gagna rapidement en vitesse. Le bolide sans pilote filait sur le périphérique à toute allure au moment où les soldats venus en renfort s'agglutinaient sur la plateforme de la tour de guet pour observer impuissants l'inévitable se produire. La voiture bélier emprunta le tremplin précédemment installé par Yoann, décolla dans les airs un court instant et alla s'encastrer dans les hautes portes rouillées dans un vacarme sans nom. Le choc fut si violent que le système de verrouillage sauta comme on brise une brindille. L'une des portes plia et se désolidarisa de ses attaches, pourtant forgées à la solide enceinte qui cerclait la Cité. Elle amorça une chute au ralenti dans un grincement sourd et puissant qui résonna dans l'atmosphère, avant de s'écraser au sol, déclenchant ainsi un écho métallique qui courut le long du périphérique et alla réveiller les tympans du ras-de-marrée cannibale avançant inexorablement vers la ville.

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