Chapitre 10

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Le jour était levé depuis plus de deux heures. Erin ouvrit difficilement les yeux et s'étira de tout son long. Elle ne voulait pas quitter ces draps si accueillant, mais s'y força quand même. Elle enfila un t-shirt et un legging qui lui avaient été mis à disposition la veille, puis sortit de sa chambre. Elle marcha le long du couloir discrètement – ses compagnons dormaient encore – puis mis de l'eau à chauffer dans une bouilloire. Avant que l'eau ne soit trop chaude, elle arrêta la machine et se servit une tasse dans laquelle elle mit un sachet de thé à infuser. Elle agrippa ensuite la hanse de sa tasse et s'assit sur le plan de travail de la cuisine pour déguster sa boisson tout en analysant ce nouvel environnement.

La cuisine n'était pas bien grande. Il n'y avait ni réfrigérateur, ni four, et les plaques de cuisson étaient hors service. A vrai dire, seules l'arrivée d'eau et la bouilloire étaient en état de marche. Les meubles de rangement, bien que peu nombreux, n'étaient pas bien remplis. La jeune femme passa de l'autre côté du couloir, dans le salon. La pièce baignait dans la lumière diffuse du matin. L'ameublement y était également très sommaire : un canapé, quelques coussins, et un bureau avec une chaise en bois. L'atout majeur était sûrement la large fenêtre qui donnait sur la rue. A l'extérieur, tout était calme.

L'appartement se trouvait au sixième étage dans un immeuble quelque peu ancien situé sur un axe perpendiculaire à la route principale de la Cité. Il disposait de trois chambres. La plus petite avec un lit simple avait été attribuée à l'ingénieure, et les deux autres étaient partagées par les garçons : celle avec les lits superposés pour Marc et Kévin, et celle avec le lit double pour Yoann et Léo. Au bout du couloir se trouvait également une salle de bains un peu exiguë avec baignoire, toilettes, et lavabo. Erin s'assit sur le sofa tout en réfléchissant. Ces lieux lui paraissaient surréalistes. Le jour où tout a basculé, elle et son frère étaient invités au mariage d'un ami commun. La quasi-totalité des invités et du personnel avait pu trouver refuge dans la salle de réception qui avait été louée pour l'occasion. Après y avoir passé une nuit pour le moins chaotique, ils étaient sortis de leur cachette ; commença alors leur survie. De squats en squats, ils perdirent peu à peu leurs camarades d'infortune jusqu'à ne plus être que tous les deux. C'est alors qu'ils trouvèrent la résidence des Coquelicots où ils furent accueillis à bras ouverts. Même si leur vie était devenue bien plus agréable par rapport à ces mois d'errance et de souffrance, vivre en communauté dans un EHPAD où le seul réel moment d'intimité était celui de la douche n'avait rien à voir avec tout le confort apparent de la Cité.

Alors qu'elle était perdue dans ses pensées, Kévin fit son apparition dans le salon, les cheveux ébouriffés et la trace de l'oreiller sur la joue.

- Salut, dit-il d'une voix éraillée.

- Ah ! Oula, j'en connais un qui a bien dormi, répondit Erin d'un air taquin.

- Si on enlève les ronflements de Marc, ouais plutôt pas mal.

Son aînée se mit à rigoler. L'adolescent alla se servir une tasse de thé lui aussi et fouilla au passage les placards, espérant y trouver quelque chose à grignoter, en vain. Ils furent bientôt rejoints par le couple tandis que Marc dormait encore à poings fermés. Une bonne heure passa, durant laquelle les quatre amis discutèrent de leurs impressions sur la Cité. Soudain, on frappa à la porte. Yoann alla ouvrir. C'était Adèle, toujours aussi resplendissante. Cette fois-ci elle avait lâché ses cheveux légèrement ondulés qui lui tombaient au niveau des épaules, et elle portait un rouge à lèvres d'un rouge intense. Elle était accompagnée de deux soldats en combinaison noire. A peine la porte fût-elle ouverte qu'elle s'invita à l'intérieur, suivie de ses chiens de garde. Elle fit la bise à ses invités, toute gaie, et ne manqua pas de relever l'absence de Marc. Kévin alla donc réveiller son colocataire qui vint saluer tout ce beau monde en catastrophe.

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