Chapitre 7

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Stéphanie courrait dans les étroits couloirs de pierres sombres du château dans la cohue générale. Au milieu des cris et des mouvements de foule, ses pensées étaient tout aussi agitées. Elle se frayait tant bien que mal un chemin vers la sortie alors que les événements de cette dernière heure lui revenaient en flashs amers. Le moment où Régis lui tendit le lance-roquettes. Le moment où elle pressa la gâchette. Grace pleurant sur le corps sans vie de Mélissa. Simon agonisant au sol. Le sentiment de pouvoir qu'elle ressentit à cet instant. L'altercation avec Remigio qui suivit. Tout se mélangeait. Elle dévala les escaliers et courut à toute allure hors de l'enceinte fortifiée avant de disparaître dans les bois.

La tireuse d'élite parcourut les deux kilomètres qui la séparaient de son véhicule sans s'arrêter. Elle s'installa au volant et détala bruyamment dans une conduite bien plus nerveuse qu'à l'accoutumée. Sa respiration était rapide et puissante. Elle descendit les routes sinueuses de montagne en trombe avant de s'arrêter brusquement sur le bas-côté, près d'une ancienne zone industrielle déserte. La poussière accumulée au sol s'éleva dans les airs sous le freinage brutal de la conductrice et dériva avec la brise légère qui caressait la vallée. La trentenaire frappa alors le volant de ses paumes puis se laissa aller à une crise de larmes.

La jeune femme mit une bonne dizaine de minutes à se calmer. Elle resta ensuite de longs instants la tête basculée sur l'appui-tête et le regard dans le vide. Elle fut sortie de sa torpeur par un cannibale venu se cogner à la vitre passager, désireux de dévorer sa proie pourtant inaccessible. Elle soupira puis observa cette créature putride à l'état de décomposition bien avancé. Sa peau grisâtre partait en lambeaux par endroits, laissant apparaître les chairs profondes et parfois même les os. Au niveau de sa joue droite, des larves semblaient se développer, confortablement installées dans leurs galeries miniatures creusées dans le derme fragilisé. Une de ses oreilles était complètement rongée et son crâne était majoritairement chauve ; seules quelques très fines mèches de cheveux cassants venaient l'habiller timidement. Cette vision d'horreur était devenue commune dans ce monde. Pourtant, quelque chose intrigua Stéphanie. Le monstre en question n'avait de cesse de revenir à la charge contre la vitre du véhicule en claquant des mâchoires et en faisant crisser ses ongles sur la carrosserie. Comment l'avait-il repérée ? Cela faisant un bon moment que le moteur était éteint, et aucun bruit n'avait pu attirer ce mort-vivant jusqu'à elle. Curieuse, Stéphanie décida de sortir de sa voiture. Elle laissa la portière ouverte et commença à contourner le véhicule lentement. La créature arrêta alors ses assauts contre la vitre et se mit en marche en suivant la jeune femme avec avidité. Où qu'elle aille, le cannibale la suivait en la fixant de ses yeux vitreux et exorbités. La tireuse d'élite attrapa alors une grosse pierre non loin de là et l'abattit avec force sur le crâne de son hôte indésirable, qui s'écroula sur le coup. La jeune femme resta pensive et légèrement soucieuse face à la seule conclusion qui s'imposait à elle : ce cadavre ambulant était doté de vision. Elle scruta les alentours pour s'assurer qu'aucun autre n'était dans les parages puis regagna son poste de conduite. Cette rencontre inattendue changeait la donne ; désormais elle allait devoir présumer que chaque nouvelle créature qu'elle rencontrerait ne serait pas uniquement susceptible de l'entendre, mais aussi de la voir. C'est sur ces interrogations qu'elle reprit la route vers le Nord.

Sur le trajet, elle se mit à penser à toutes les choses qu'elle avait vécues depuis que le monde s'était effondré. Envoyée dans un pays limitrophe par le gouvernement pour une courte mission de reconnaissance, elle était sur le chemin du retour lorsque la folie cannibale frappa le globe. A l'époque, elle avait pu faire jouer ses relations pour se procurer un hélicoptère et fuir par les airs. Malheureusement pour la jeune femme, elle ne put aller bien loin et fut interceptée par l'armée de l'air qui réquisitionnait tout objet volant pouvant servir à la protection des civils. C'est ainsi qu'elle se retrouva coincée dans les collines au Sud du pays. Elle ne mit pas longtemps à rejoindre un petit groupe de rescapés et s'imposa comme un élément fort sur qui on pouvait compter pour survivre. C'est alors qu'elle s'inventa une couverture en tant que membre du RAID, sûrement par déformation professionnelle, mais aussi pour augmenter son capital confiance et garder les choses sous contrôle grâce au piédestal dont elle s'était de fait dotée. Bien vite, elle partit en mission de ravitaillement, et c'est à cette occasion qu'elle rencontra Romain et les autres. Malgré des débuts difficiles, elle réussit à s'intégrer et tissa des liens forts avec ce petit groupe. Jamais elle n'aurait pensé rencontrer l'amour dans ces conditions. Cette vie aurait pu être un nouveau départ, mais son naturel secret et ses vieilles habitudes ne l'avaient pas quittée pour autant. Avec le temps, il lui était de plus en plus dur de se terrer dans le mensonge et de prétendre être quelqu'un d'autre au quotidien, entourée de gens qu'elle estimait sincèrement. Et maintenant, tout lui éclatait au visage. Elle commençait à perdre la face.

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