Chapitre 5 - partie 2

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Il devait être aux alentours de onze heures du matin. Un convoi d'une petite dizaine de voitures attendait sur le côté de la route. Dans les prairies sèches alentours, on entendait les stridulations des sauterelles et le bourdonnement des abeilles. Une légère brise caressait les hautes herbes et les faisait danser avec grâce tandis que les doux rayons du soleil faisaient chauffer la carrosserie métallique des véhicules. L'atmosphère était calme. Trop calme. Le groupe de survivants qui tenait son poste depuis plus d'une heure commençait à s'impatienter. Certains faisaient les cent pas alors que d'autres préféraient rester prostrés à l'ombre. De temps à autres, un petit claquement venait troubler cette quiétude apparente, symbole qu'un moustique venait de passer l'arme à gauche face aux implacables mains humaines.

Alors adossé à un crossover bleu nuit, les bras croisés et la tête rentrée dans les épaules, Régis décida qu'il avait assez attendu. Il déroula son corps et marcha lentement vers Remigio, posté au milieu de la route, les yeux rivés sur l'horizon. Il s'annonça d'un soupir profond avant de décréter :

- Il faut y aller maintenant.

- Non ils vont arriver, faut attendre encore un peu, protesta l'italien.

- Ecoutez...

- Romain, Nathalie, est-ce que quelqu'un me reçoit ? Articula Remigio dans le combiné de sa radio longue portée.

La seule réponse qu'il obtint en retour fut le grésillement de l'appareil. Régis prit congé et rameuta ses troupes en regagnant son véhicule. Voyant tout le monde s'agiter, le militaire trotta vers le marin et l'interpella avec fermeté :

- Qu'est ce que vous faites ? Je vous ai dit qu'ils allaient...

- Nous attendons depuis trop longtemps, coupa son interlocuteur. On ne peut pas se permettre de perdre encore plus de temps. Le plan est d'attaquer aujourd'hui et c'est ce que nous allons faire. A vous de voir si vous voulez nous accompagner et récupérer votre fils.

Le major ancra son regard brun dans le bleu des yeux du commandant. Ils soutinrent ce duel silencieux durant quelques secondes acides. Remigio finit par se résigner, sachant très bien ce qui était en jeu. Sans Régis et ses armes, il n'aurait aucune chance de retrouver Ugo. Il fit donc signe à Alex, Stéphanie et Amjad d'embarquer, alors que les moteurs ronronnaient déjà. Jusqu'au dernier moment, les quatre compagnons scrutèrent les rétroviseurs en espérant un signe, mais rien ne vint.

- Mais qu'est-ce qu'ils foutent ? Ragea Stéphanie.

- Ils répondent même pas aux appels radio, ajouta Remigio.

- Ça m'inquiète cette histoire, dit Alex. Et s'il leur était arrivé quelque chose de grave sur la route ?

C'est ce qu'ils pensaient tous. Un tel retard n'annonçait rien de bon. Nombreuses étaient les causes potentielles de cette absence, et la majorité d'entre elles était plutôt funeste. Ils tentèrent de chasser ces idées noires de leurs esprits mais elles n'avaient de cesse de revenir les hanter et s'entre-mêlaient au stress de l'affrontement imminent qui grandissait à chaque kilomètre parcouru.

La Jeep emmenée par Grace et Mélissa ouvrait la voie. Le convoi commença son ascension sur les petites routes tortueuses des montagnes. L'Institut n'était plus qu'à une quarantaine de minutes. Ils avaient dépassé les délais de leur plan. L'attaque était prévue durant la pause repas mais le contre-temps qu'ils avaient rencontré leur avait fait perdre une heure précieuse. Ils ne savaient pas à quoi s'attendre en débarquant plus tard que prévu. Les quelques vingt-et-un combattants rassemblaient leurs forces et se préparaient psychologiquement. Ils allaient jouer leur vie dans moins d'une heure.

Non loin de là, Eva finissait son déjeuner dans la grande salle commune du château, son enfant dans les bras. Elle resta assise là quelques temps à bercer le nouveau-né. Les enfants de l'Institut regagnèrent tous le premier étage pour l'allocution journalière du maître des lieux avant de commencer leurs leçons. Xavier, le professeur fugitif du groupe 3, avait été remplacé au pied levé par un des soldats. L'homme était beaucoup plus abrupt que son prédécesseur. La jeune maman profita de ce moment de calme, puis retourna à l'infirmerie. Elle s'assit sur son lit, adossée à ses coussins, toujours en berçant son petit garçon. Elle ne lui avait toujours pas donné de nom ; elle attendait Alex pour ça. La jeune femme n'en pouvait plus d'entendre Mathieu appeler son enfant Clément. Ce prénom l'irritait de plus en plus au fur et à mesure que les jours avançaient.

Eva contemplait ce petit être si fragile et si serein à la fois. Il n'avait aucune idée du monde qui l'attendait. Pourtant, ce monde, aussi cruel soit-il, serait la seule chose qu'il connaîtrait. Ces tristes pensées, la jeune maman les rencontrait souvent. Sa situation captive n'arrangeait rien. Elle savait pertinemment qu'on lui arracherait son enfant pour l'entraîner à devenir une machine de guerre. Et que ferait-on d'elle ? Pourrait-elle rester à l'Institut pour observer son fils se faire lentement façonner par Mathieu et sa propagande, ou serait-elle tout simplement renvoyée d'où elle venait, ou tuée ? Établir un nouveau plan d'évasion semblait impossible mais elle voulait désespérément protéger son bébé.

Comme à son habitude, Mathieu la sortit de ses songeries en déboulant dans la pièce sans y avoir été invité. Il affichait ce sourire si faux et si caractéristique de sa vile personne. Eva ne cacha pas sa contrariété. Son bourreau s'avança vers elle avec arrogance et entama la conversation :

- Bonjour ma chère, comment allez-vous ? Et comment va notre petit Clément ?

- Ne l'appelez pas comme ça, siffla-t-elle.

- Pourtant ce prénom est fort plaisant, affirma-t-il avant de reprendre. Vous savez pourquoi je vous rends visite ; où sont partis vos quatre compagnons ?

- Je n'en ai aucune idée.

- Où sont-ils ? Insista Mathieu avec véhémence.

- C'est fatiguant de devoir vous le répéter. Je n'en sais rien, souffla Eva.

- Avec ou sans votre aide, nous les retrouverons.

Le maître des lieux appuyait ses propos d'un regard sombre dans une forme d'assurance machiavélique qui fit tressaillir la jeune maman. Mathieu se délecta de ce spectacle. Il jeta un dernier coup d'œil au nouveau-né puis se dirigea vers la porte de la salle. Avant de partir, il adressa un dernier message des plus sordides à sa captive :

- Clément a l'air de bien se porter. Vous faites une bonne mère, et vous semblez fertile. J'ai donné la consigne au personnel soignant de l'Institut de noter vos cycles menstruels. Si vous ne voulez pas collaborer, attendez vous à porter un deuxième enfant sous peu.

Alors que la porte se refermait derrière lui, Eva accusait le choc des paroles qu'elle venait d'entendre. Sa respiration devint erratique et la nausée lui vint. Ses yeux écarquillés se chargèrent de larmes. Son corps tout entier tremblait. C'est à ce moment là que retentit le premier coup de feu.

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