Cannibales

Chapitre 3

Telle une furie, Stéphanie déboula dans la passerelle, suivie par ses compagnons qui pressaient le pas sans comprendre la raison de sa sombre colère. Ils y trouvèrent Régis, qui comme à son habitude trônait au poste de commande, en train d'admirer l'orage qui grondait. Sans même attendre une seconde que son interlocuteur se tourne vers elle, la trentenaire l'agressa :

- Espèce d'ordure hypocrite, vous avez pas honte de vous servir de nous comme ça après ce que vous nous avez fait ?! Cria-t-elle.

- Euh, je... de quoi parlez-vous ? Rétorqua-t-il, désarçonné.

- Votre enfoiré de sous-fifre m'a tout raconté à propos de votre petit arrangement avec les Survivalistes, continua la jeune femme avec frénésie, prête à en venir aux mains.

- Quel petit arrangement ? Demanda Remigio avec crainte.

- De quoi tu parles ? Suivit Sophie, perplexe.

- Notre hôte ici présent, qui nous a promis son aide en échange de nos services, a oublié de mentionner que c'était de sa faute si les Survivalistes nous avaient attaqués, répondit-elle avant de s'en prendre à Régis de nouveau. Quand ils sont venus ici, vous avez passé un marché avec eux. Vous nous avez livrés pour protéger vos arrières. Et maintenant vous avez le culot de nous réduire en esclavage en prétendant vouloir nous aider !

Le commandant de bord n'eût pas l'occasion de s'expliquer que tout le monde commença à s'agiter, tantôt en l'insultant, tantôt en demandant des précisions à Stéphanie. Dans la confusion et l'ébullition ambiante, le premier coup de poing partit. Remigio venait de décrocher une droite qui mit de matelot à terre. Très vite ses hommes accoururent, avertis par le brouhaha, et la situation dégénéra en bagarre collective. Sophie, Noria et Amjad se replièrent dans un coin de la pièce. Les coups fusaient dans tous les sens, au milieu des grognements de douleur et des giclées de sang. Tout le monde était enragé. Sophie et Amjad décidèrent d'intervenir et tentèrent de séparer les deux partis, en vain. La jeune fille fut expulsée et tomba lourdement au sol alors que son coéquipier venait tout juste de se faire matraquer le nez. Soudain, un coup de feu retentit. Le bruit déjà puissant résonna dans cet espace confiné majoritairement fait de métal et étourdit la totalité des personnes présentes dans la pièce. Il fallut quelques secondes pour que les bagarreurs reprennent leurs esprits, assommés par le sifflement strident qui tambourinait dans leurs oreilles. Régis tenait son pistolet dans la main, pointé vers le ciel. La balle n'avait blessé personne ; elle était simplement allée s'encastrer dans le plafond. Il attendit quelques instants avant de prendre la parole, l'occasion pour tout le monde d'examiner l'étendue des dégâts. Des visages ensanglantés, des poings tétanisés, des arcades sourcilières fendues, des lèvres éclatées. Ce n'était pas glorieux.

- Expliquons-nous en personnes civilisées, déclara le commandant de sa voix rauque. Il est vrai que j'ai conclu un accord avec les Survivalistes. Lorsqu'ils nous ont attaqués, nous avons été pris par surprise. Nous n'avons rien pu faire pour nous défendre. J'ai donc joué la seule carte que j'avais en main. Je leur ai proposé des renseignements qui leur seraient utiles en échange de quoi ils laisseraient nos enfants tranquilles. Nous n'avions que faire des armes, ils pouvaient tout emporter. Malheureusement, ils ne voyaient pas la chose du même œil. J'ai été dupé.

- Vous n'êtes qu'un lâche ! Sacrifier des gens comme ça, qui êtes-vous pour prendre ce genre de décision ? Siffla Alex.

- Mettez-vous à ma place, qu'auriez-vous fait ? Avez-vous cédé sans résistance lorsque les Survivalistes sont venus vous prendre vos enfants ?

Un lourd silence s'installa alors. Les souvenirs encore vifs de ce fameux jour remontèrent à la surface. Au fond, malgré la rancœur, les émissaires des Coquelicots comprenaient très bien la position de Régis. Ils auraient probablement fait de même si les rôles avaient été inversés. Tout le monde prit sur soi et se calma, non sans amertume.