Chapitre 8

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Kerian

Et tandis qu'elle met les voiles, je reste planté là, ma main sur ma joue endolorie, les vieilles effluves de son sublime corps remontant dans mes narines. Immobile comme un putain de con planté au milieu d'une foutue pièce emplie d'insupportables bourgeois. Je me laisse alors retomber sur la chaise, attrapant du bout des doigts le Dictaphone ainsi que le bout de papier négligemment laissés sur la table par Holly. Mais putain, qu'est-ce que je peux être con. Pourquoi est-ce que je me suis comporté comme un tel connard ?

— Putain, fait chier, je grogne.

À cet instant précis, j'aimerai que la terre m'engloutisse. Je voudrais ne plus être, ou bien n'être rien d'autre qu'une putain de feuille virevoltant négligemment dans le froid glacial de New-York. Écumant les buildings, jonchant le sol, planant par dessus toute cette masse d'inconnus. J'ai mis tant de temps à me forger cette carapace, ma réputation est telle que je la souhaitait, telle que je l'ai toujours souhaitée depuis mon départ de Miami. Détesté de la gente masculine, haï des femmes dès lors qu'elles quittent mon pieu, tout ça en étant assez populaire pour que tous ces idiots reviennent pourtant dans mon salon. Je suis ce dont j'ai toujours rêvé, un tatoueur reconnu, un tombeur, un homme à femme riche et incroyablement populaire. Les marques de vêtements se battent pour que j'ai la gentillesse de les sponsoriser durant mon émission tandis que les salons du tatouage du monde entier me réclament. Alors putain de merde, pourquoi est-ce que je ne suis toujours pas heureux ? Pourquoi est-ce que la simple vue de cette sublime créature parvient d'ors et déjà à briser tout ce que j'avais réussi à forger ? Et pourtant, je n'ai été en contact avec elle que moins de quinze minutes ! Il faut que je me tire d'ici, j'ai besoin d'un putain de verre de whisky, ou bien d'une bouteille. Là-dessus, je bondis de la chaise, ignorant les regards inquisiteur de tous ces connards, puis quitte l'hôtel pour rejoindre le bar situé sur le trottoir d'en face. La musique à l'intérieur ne me plaît pas, il n'y a que des putains de nouveautés dénuées de toute parole sensée mais je n'en ai rien à foutre. Tout ça sera bien loin de mon esprit après avoir avalé quelques verres.

— Qu'est-ce que je peux vous servir ? Roucoule une serveuse à la seconde où je pose mon cul sur un tabouret au comptoir.

  Ses longs cheveux bruns retombant sur sa poitrine font parfaitement ressortir ses obus, son teeshirt semble bien trop petit pour elle et son jean bien trop taille basse. Son teint est d'un étrange orange tandis que ses lèvres sont couvertes d'un envoûtant gloss rosâtre. Elle est vulgaire et me rappelle même la sœur aînée d'Evy. Je ris intérieurement en me rappelant la manière dont Holly l'avait remise en place lorsque cette dernière avait tenté de me faire les yeux doux ! Ma gorge se noue.

— T'as cas me vendre ta bouteille de Jack.

— On le les vends pas. Je suis désolée.

— Bien, alors je descendrai cette bouteille verres après verres.

  Mon grognement la fait reculer d'un pas avant qu'elle ne se décide à me servir un verre.

— Déception amoureuse ?

  Son murmure me met en rogne. Qu'est-ce qu'elle peut bien en avoir à foutre ? Si ce n'était pas une putain de nana je lui en aurais sûrement foutu une. Putain, pourquoi est-ce qu'elle s'intéresse à moi ? Pourquoi est-ce que je ne peux pas boire un putain de verre tranquillement ?

— Hum, je meugle en signe de réponse.

— Je peux peut-être vous aider.

  Sa voix est mielleuse au possible et ses yeux affichent une lueur séductrice. Cette nana ne m'attire pas le moins du monde, en fait, je dirais même qu'elle me répugne. A vrai dire, toutes celles avec qui j'ai couché ces sept dernières années m'horripile. Toutes, sans exception.

— Pardon ?

— Je te connais, je sais qui tu es, j'ai entendu parler de toi dans un journal.

  Elle semble fière d'elle. Elle me fait marrer.

— Tu ne me connais pas.

— Bien. Je ne te connais pas. Quoi qu'il en soit, je finis mon service dans une heure.

  Là-dessus, elle fait glisser la bouteille de Jack sur le comptoir avant de me le planter devant le visage. La brune incroyablement grande et vulgairement maquillée effectue un clin d'œil puis quitte mon champ de vision. Habituellement, j'aurais couru après cette fille pour la prendre au beau milieu des toilettes, mais ce soir, je n'y parviens pas. Tout semble m'amener à penser à Holly, comme par exemple le même rire adorable que cette petite rouquine au fond de la pièce, les mêmes yeux en amande d'un sublime vert émeraude que la blonde à ma gauche, une musique du groupe The Fray passant à la radio, de bref souvenirs d'Holly me récupérant saoul au bar me reviennent également en mémoire. Je donnerai cher pour revoir cette petite expression de colère, bien que je savais pertinemment qu'elle ne l'était pas. Elle était bien plus rassurée qu'en rogne contre moi. Elle est venu me récupérer un paquet de fois dans ce bar, j'en ai même chialé dans ses bras. Je n'était qu'un foutu faible, alors pourquoi est-ce que tout ça me manque ? Pourquoi est-ce que cette faiblesse me manque ? Ma gorge se noue à mesure que j'entends la rouquine s'esclaffer derrière moi, je ferais tout pour entendre à nouveau le rire d'Holly éclater sous mes yeux, la voir rayonner de joie, revoir la manière dont elle me regardait à cette époque, l'époque où elle me pensait incapable de l'abandonner, l'époque où elle pensait que j'étais sa destinée. J'aimerai, à cet instant précis, pouvoir dégainer mon portefeuille pour admirer pour la énième fois la photo entreposée à l'intérieur, mais il m'est impossible de bouger d'un cil, je ne parviens pas à décoller mon regard du vide sans pouvoir déplacer la plus infime partie de mon corps. C'est à peine si je cligne des yeux, à peine si je sens encore le battement de mon cœur dans ma poitrine, à peine si j'entends le souffle chaud de ma respiration. La salle pleine de vie autour de moi semble en parfait contraste avec l'être dénué d'existence que je deviens peu à peu. Plus les secondes passent et plus ma vue devient floue, la voix de tous ces inconnus autour de moi semble raisonner comme d'étranges échos. J'ai la vague impression de me trouver si loin de toute cette agitation, si loin de toute cette joie, si loin de toute cette vie, cette lumière. Comme si un halo de lumière noirâtre enveloppait mon corps pour emprisonner mon âme. Le vide semble m'engloutir un peu plus à chaque seconde qui passe et pourtant, je reste immobile.

Soulmate - Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant