Chapitre 14

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Kerian

  J'ai été con de la laisse m'échapper encore une fois. J'aurais du la rattraper, lui dire que désormais tout sera différent, lui dire que je ne compte plus l'abandonner. Si seulement je pouvais en avoir la certitude, si seulement je pouvais avoir la certitude que je ne lui briserai plus jamais le coeur comme je l'ai déjà fait tant de fois. Si seulement je pouvais être sûr que cette fois s'avère être la bonne, que je ne compte plus repartir à Paris et que je la suivrai ou qu'elle aille. Mais comment est-ce que je pourrais prétendre tout ça alors que, moi même, j'ignore si je serais capable de tenir cette promesse.
  En me dirigeant vers le restaurant dans lequel je dois rejoindre Rachel, j'ai une folle envie de faire demi-tour. Prétendre que j'ai soudain été pris d'un affreux mal de ventre me rendant dans l'incapacité de me lever. Mais il faut que je commence à prendre mes responsabilités. Je dois affronter ceux que j'ai laissé tomber sept ans plus tôt. Les relations avec ma soeur ont toujours été compliquées, d'autant plus avec mon histoire avec Holly ; mais les dernières semaines avant mon départ ont énormément témoignées de l'affection que me portait finalement Rachel. C'est dommage, je n'ai eu l'impression de réellement connaître Rachel qu'à quelques jours de mon départ. Je sais pertinemment que nous n'aurions jamais eu la même relation fusionnelle qu'Owen et Holly, mais l'idée d'avoir une cadette avec qui je puisse discuter, partager et m'amuser m'aurait paru être une bonne fin en soi.

— J'ai cru que tu m'avais posé un lapin, glousse Rachel lorsque je la rejoins à la table du restaurant italien dans lequel elle m'a donné rendez-vous.

— J'y ai pensé.

  J'accompagne ma réponse d'un sourire tout ce qu'il y a de plus chaleureux. Ma petite soeur est devenue une vraie femme ! La voir vêtue d'une sublime robe sans doute hors de prix ainsi qu'admirer sa tignasse formant désormais un joli carré châtain me scotche à ma chaise. Elle est désormais dotée d'une prestance et d'une distinction folle. Rien à voir avec la petite princesse capricieuse que j'ai laissé à Miami ! Son visage est beaucoup plus fin et ses formes plus élancées qu'à l'époque. Son regard enfantin a laissé place à de la pure gracieuseté et son maquillage semble également moins prononcé qu'à l'époque ; ou peut-être simplement bien plus élaboré et réussi !

— Putain, t'as tellement changé.

— Tu t'en serais rendu compte si tu étais revenu à la maison quand maman et papa te l'on proposé.

  Bien qu'elle affiche un large sourire tout en me répondant, je perçois parfaitement l'animosité dans sa voix. Cette douceur est également nouvelle chez Rachel, du moins pour moi. Il y a quelques années elle m'aurait sûrement balancé ce reproche à la gueule sans aucun scrupule. Aujourd'hui, j'ai la vague impression qu'elle tente d'être bienveillante envers moi.

— Les fêtes de famille, c'est pas mon truc.

— Dis plutôt que tu ne voulais pas croiser les Jensen.

  Son ton amusé réussi presque à me faire marrer.

— Tu pensais réellement que j'allais me pointer à l'un de vos Noël et agir avec Holly comme si de rien n'était.

— Tu n'as pas tord. Comment se sont passées vos retrouvailles ?

  Pourquoi est-ce qu'elle me pose la question ? Il est évident qu'elle connaît la réponse. Et Holly a dû lui donner tous les détails croustillants de mon caractère de sombre connard à son égard. Est-ce qu'elle essaye de me piéger en étant gentille avec moi ?

— Tu le sais très bien. Holly a bien dû tout te raconter.

— C'est aussi elle qui m'a poussé à accepter de déjeuner avec toi.

— Quoi ?

  Je déglutis.

— Elle tenait à ce que je mange avec toi ce midi. C'est uniquement grâce à elle si je suis là.

  Et dire que je viens de la faire pleurer. Je regrette d'avoir voulu la pousser à bout dans le seul et unique but de me prouver qu'elle ne m'avait pas oublié. C'était stupide et puérile. Je connaissais déjà la réponse, alors pourquoi est-ce que j'ai eu besoin de lui faire, une nouvelle fois, du mal  ?

— Comment elle va ? Je veux dire, depuis ces dernières années.

— Mal.

  Ma mâchoire se resserre et je plonge ma tête dans le creux de mes grandes mains avant de souffler bruyamment. Si j'ai décidé de revenir à New-York c'était, d'une part, pour cette foutue entrevue, mais d'une autre part dans le but de me convaincre moi-même que me tirer était la meilleure des décision. Alors pourquoi ce putain de séjour semble commencer à me faire penser l'inverse ?

— Ma réponse t'étonne ?

— Pas vraiment. Elle a retrouvé quelqu'un ?

  Elle ouvre de grands yeux avant de se mettre à triturer frénétiquement ses ongles. Je n'ai pas besoin qu'elle me réponde pour comprendre le message. Elle a dû se trouver un putain de new-yorkais n'estimant pas le quart de sa valeur et de sa préciosité. Savoir ça ne devrait pas me mettre en colère, elle a bien le droit après toutes ces années, je n'ai pas le droit de lui en vouloir d'avoir tenté de passer à autre chose avec une putain d'éponge ! En réalité, ce qui met en boule est d'imaginer ce sombre connard poser ses mains sur le corps d'Holly. A une époque je pensais pouvoir être le premier et le dernier à avoir le droit de caresser sa sublime chaire. Leo ne comptait pas, il n'a toujours été qu'un connard opportuniste.

— Je ne te parlerai pas d'Holly.

— Pourquoi ?

— Parce qu'elle n'aimerai pas que je le fasse. C'est pour ça qu'Owen a toujours refusé d'aborder le sujet. C'est une promesse qu'elle nous a demandé de tenir.

  Je souffle à nouveau bruyamment. Pourquoi est-ce que personne ne comprend ce putain de besoin de savoir ? Il faut que je sache. J'aimerais savoir comment la moindre seconde de ces sept années s'est passée pour elle. J'aimerais savoir comment elle s'en est sorti, qui l'en a aidé, comment se sont passées ses années lycée, quels garçons elle a bien pu côtoyer.

— Tu viendras cette année, pour Noël ?

— Non, putain ! Hors de question.

— Alors quoi ? Tu comptes simuler une de tes nouvelles foutues maladie survenant quelques jours avant ton décollage ? Tu ne fais que fuir, en fait, tu n'es qu'un putain de lâche, Kerian. Tu l'as toujours été. Je pensais que revoir Holly te ferait changer d'avis, mais visiblement, j'ai eu tord.

  Putain, qu'est-ce qu'il lui arrive tout d'un coup ? Qu'est-ce qu'il lui prend à être soudainement sur mon dos ? J'aurais du m'en douter. J'aurais du me douter que ce repas serait merdique. Je n'aurais jamais dû me pointer ici. Et peut-être que fuir toute cette famille depuis toutes ces années s'avère finalement avoir été une bonne idée. Je bondis de ma chaise avant de quitter le restaurant, laissant Rachel plantée là. Je sens tous les regards se poser sur moi mais je n'en ai rien à foutre. Il faut que je me tire. J'ai bien besoin de boire un verre.

Soulmate - Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant