Chapitre 12

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— Salut Maman !

— Bonjour, Aurélien. Ton frère a invité une amie à la maison, je compte sur toi pour être gentil avec elle, elle dîne avec nous.

Aurélien avait regardé autour de lui et dans le minuscule appartement, il avait vite trouvé Nicolas et son amie installés sur la table du salon en train de réviser leurs maths. Enfin, ils bavardaient, mais faisaient mine de travailler pour déculpabiliser.

Il s'était décidé à saluer la blonde, poliment :

— Bonjour !

— Bonjour, avait fait la fille en levant la tête, tu es Aurélien, c'est ça ?

— Oui. Et toi, tu es... ?

— Johanna, mais appelle-moi Jo'. Je suis dans la classe de Nico.

— Cool. J'ai des devoirs à faire, désolé, à plus tard.

Le gamin s'était réfugié dans sa chambre et avait repensé à cette fille. C'était sa copine, son frère lui en avait déjà parlé. Elle paraissait très adulte. Elle avait des cheveux blonds ondulés qui lui tombaient dans le creux du dos, des créoles qui pendouillaient, un rouge à lèvres pétant et un fond de teint à outrance qui donnaient l'impression de ne pas la voir vraiment. Ouais, elle était belle. Super belle même. Mais elle n'avait pas de charme. Pas d'originalité, juste un pot de peinture que l'on avait étalé en fonction des normes sociétales. Alors oui, il comprenait que son frère l'ai comme copine, et non, il ne supportait pas la tonne de maquillage qu'elle devait se foutre sur la face chaque matin. Et elle avait mauvaise influence sur son frère, c'était à cause d'elle qu'il s'était mis à fumer. Il balançait des francs pour une cigarette par jour, tous les soirs, quand il discutait avec Aurélien. Au final, c'était plus une habitude qu'autre chose, et c'était aussi pour paraître « normal » dans son lycée de bourges. Les lycéens des beaux quartiers fument, cannabis ou tabac, pour oublier leurs vies merdiques, ceux des quartiers Nord préfèrent le trafic : c'est plus rentable.

Aurélien avait beaucoup flâné et peu fait ses devoirs, il n'en avait pas beaucoup, pour une fois, mais de toute façon, il les avait fait avec Ichrak. Sa mère n'avait pas tardé à les appeler pour manger un poulet au curry sorti de chez Stoc, et Aurélien avait grincé des dents quand il avait vu les manières de cette Johanna. Il ne la connaissait pas, lui avait parlé pour échanger trois mots, mais il ne pouvait pas la blairer. Alors il l'avait ignoré, il avait parlé à sa mère de sa journée (en omettant tout de même le passage avec Ichrak), avait échangé des banalités avec son père et avait regardé son frère et sa copine qui se collaient et étaient à deux doigts de se bécoter. « Devant les beaux-parents, en plus, elle est pas pressée, la Johanna » avait pensé Aurélien, en la fusillant du regard.

— Johanna, tu restes dormir ? avait demandé Aurélien, soucieux d'un coup de garder son lit

— Non, je suis juste venue faire mes devoirs avec Nicolas. Ma mère et Maliha m'attendent chez moi.

— Tu habites où ? Aux Chutes-Lavies ? avait questionné Aurélien, se lançant dans un interrogatoire alors qu'ils connaissaient déjà la réponse

— Tu sais très bien où elle habite, avait coupé Nicolas, qui semblait désolé de faire subir à sa copine les questions sans équivoques de son frère.

— Oui, c'est ça.

— Et tu vis seule avec ta mère ?

— Aurélien, ne sois pas indiscret s'il te plaît, avait réprimandé sa mère.

— Cela ne me dérange pas, ne vous inquiétez pas, avait répondu la jeune femme avec un sourire poli, avant de reprendre en s'adressant au blond : non, avec une amie de ma mère, elle vient de se séparer de son copain et elle n'a pas d'appart pour l'instant, alors on l'accueille.

Le repas avait continué, et les discussions étaient d'une banalité affligeante selon Aurélien. Sa mère demandait à la jeune fille ce qu'elle voulait faire plus tard, ce qu'elle aimait au lycée, si Nicolas n'était pas trop insupportable avec elle... La jeune fille répondait à chacune des questions, arborant un sourire qui sonnait faux aux yeux du plus jeune de la tablée. Il avait hâte qu'elle s'en aille, qu'elle quitte définitivement leur foyer pour qu'il puisse passer sa soirée à échanger avec son frère, comme l'habitude le voulait. Parce qu'il ne voulait pas que cette pimbêche leur vole ce moment.

Johanna n'avait pas traîné. Et Aurélien l'en avait remercié intérieurement. Elle lui rendait son frère, enfin.

— Sérieux, pourquoi tu traînes avec une fille comme ça ? avait demandé Aurélien une fois qu'ils étaient tous les deux dans leur chambre.

— J'ai pas besoin de ta bénédiction pour me mettre avec une fille, Auré. Si elle ne te plaît pas, tant pis. Mais sérieux, je vois pas ce qui insupporte chez elle. Le fait qu'elle fume ? Va falloir t'y faire mon vieux, ça, tout le monde le fait maintenant, même toi quand t'étais gamin avec des cigarettes en chocolat.

— Ses manières, aussi... T'as vu ses chaussures, et la tonne de maquillage qu'elle met ? Elle est pas du tout naturelle cette fille. Franchement, elle doit avoir des centres d'intérêt banals et faire partie des moutons. Très peu pour moi.

— Pourquoi tu t'arrêtes juste à son physique, pourquoi tu creuses pas à l'intérieur de sa personnalité ? Elle est passionnée par la lecture. Elle passe sa vie dans les bibliothèques ou dans les librairies. Pleins de trucs, je te jure, le nombre de bouquins dans sa chambre, c'est effrayant ! C'est classé par ordre alphabétique et y'en a bien cinq cent... Je te jure qu'elle vaut le détour, et elle a bien le droit de maquiller, non ?

— Ouais. M'enfin elle vient des quartiers bourges et fume un paquet par jour, c'est pas non plus une très bonne fréquentation.

— Son père. Il est mort y'a deux ans. Et y'a ce mec, aussi, le connard, je te jure, si je le croise... Et être bourgeois n'est pas un non plus un gros mot. Sa mère est prof à l'université en anglais, je crois. Son père est mort d'une maladie liée à la consommation abusive d'alcool mais je pourrais plus te dire...

— Elle est tombée dans la clope quand son père est mort alcoolo ? Et ben dit donc, les addictions, elle doit connaître, c'est de famille !

— Tu fais pas d'effort, Auré, c'est pas cool pour elle.

Nicolas avait terminé sur cette note et avait écrasé sa cigarette qu'il avait ensuite jetée depuis la fenêtre. Aurélien s'était déjà mis sous sa couette où il lisait un magazine Spirou que son oncle lui avait filé.

— Nico ?

— Quoi, encore ?

— Tu sais, Zacaria. Je sais pas comment je vais faire quand il sera parti. Genre, avec Clément, Dino et lui, on est un groupe indivisible, et là, il s'en va... J'en veux au monde entier, à ses parents, à cette manufacture d'avoir fermé et détruit des vies entières... Et maintenant, ça se répercute sur moi... j'ai une sensation d'injustice, tu vois... Alors ta bourge, j'ai envie de lui cracher à la gueule, même si c'est irrationnel, qu'elle a perdu son père d'un cancer, mais elle n'a sans doute pas perdu d'amis à cause de ce manque d'argent. Alors, ouais, y'a pas de raison, et si ça se trouve c'est la personne la plus sympa de la Terre, mais là, j'ai envie d'être en colère contre tout le monde. Et cette Johanna, c'est le bouc-émissaire parfait, même si ton autre pote aurait pu faire l'affaire. Du coup, je me suis mis à ne pas l'aimer.

— Tu vois, sa mère est super généreuse et elle a proposé à son amie de venir coucher dans sa maison. Et si elle met du maquillage, il y aussi une raison. Tu t'es jamais demandé ce que les gens pensaient de ton survêt vert bouteille, de ton tricot made in mémé ? Elle si. Et on s'est moqué d'elle, alors elle a gommé sa différence, elle est devenu un mouton pour se cacher, pour se fondre dans la masse. Et le maquillage fait parti de ce « déguisement ».

— Toi, dis-donc, t'arrive à développer un sujet pas si important en une énorme disert'. Je crois qu'on est tous les deux un peu foncedés, alors bonne nuit, frérot.

Aurélien avait bouclé l'échange et avait tenté de dormir, oubliant cette journée qu'il avait pourtant bien aimée.

Et ils danseront dans les ténèbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant