La dernière semaine de Zacaria sur le sol français était passée très vite. Avec ses copains, ils avaient continué de s'amuser jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'il quitte la ville. Le mercredi, il était parti avec ses amis à Aubagne. Aurélien ne pouvait pas aller bien loin, et il avait réclamé un peu d'argent à sa mère, honteux.
Les quatre ados n'avaient jamais visité Aubagne. Parce qu'ils visaient plus loin dans les terres, où vers la mer. Alors cette ville, ça ne leur était même pas venu à l'esprit. Mais quand Aurélien avait lancé l'idée, ils n'avaient pas bronché et avaient acheté au guichet quatre billets de bus pour Aubagne.
Ils s'étaient bien amusés dans les petites rues de la ville, avec les arbres qui leur faisaient de l'ombre. Il faisait déjà chaud. Le printemps était sec, méditerranéen, et l'été n'allait pas tarder à arriver. Quelques arbres pour respirer ne faisaient pas de mal. Les quatre amis s'étaient baladés dans le centre-ville, discutant tranquillement comme n'importe quel mercredi après-midi. L'échéance du départ de leur ami ne semblait pas particulièrement les affecter. Ou c'était juste qu'ils repoussaient le sujet pour ne pas plomber l'ambiance. Alors comme d'habitude, après avoir fait un bon tour dans la ville sans rien acheter (l'envie de se payer une gaufre restait présente, mais ils n'avaient pas assez d'argent), ils étaient repartis.
Les deux jours de cours suivants, ils s'étaient longuement parlé, comme toujours. Assis sur leur banc à côté du terrain de foot, ils bavardaient tranquillement. De tout, de la vie, du déménagement de Zac'... L'ambiance était solennelle, c'était un adieu. Aurélien avait même fini par évoquer Ichrak. Clément et Dino avaient paru super enjoués par le fait que leur pote se soit fait une amie féminine. Zacaria leur avait communiqué le numéro de téléphone de sa grand-mère. Jusqu'à ce que ses parents trouvent un emploi, ils resteraient chez la vieille dame, avant de se trouver leur propre appartement.
Le papier que l'italien leur avait distribué était plié en quatre, mais bien au fond de la poche du jean d'Auré, il était en sécurité.
Un soir, il avait parlé à nouveau à son frère du déménagement de son ami. Il avait déjà évoqué le sujet maintes et maintes fois, mais Nicolas faisait tout le temps la sourde oreille, faisant semblant de ne pas entendre les râles de son frère.
— Nico, tu te souviens de Zac' ?
— Un de tes copains, c'est ça ?
— Ouais. Ben tu sais qu'il s'en va.
— C'est ça qui te tracasse depuis des semaines Auré ? Faut pas t'en faire, tu sais. C'est juste un pote du collège qui sera vite oublié une fois que tu seras passé au lycée. Aujourd'hui, j'ai plus aucun contact avec mes « potes » du collège, c'était plus des camarades avec qui passer le temps qu'autre chose, rien de très important.
Nicolas ne comprenait pas la relation qu'Aurélien entretenait avec ses amis, ou du moins, il faisait semblant de ne pas comprendre. Pour lui, c'était comme avec ses quelques potes du collège, des gamins avec qui il s'amusait uniquement pour se défouler. Il ne partageait pas grand chose avec eux.
— Nico, je crois que moi, mes vrais potes, je les ai rencontrés maintenant... Ce que je veux te dire, c'est qu'avec eux, je me sens bien. On partage beaucoup de choses, aussi. Alors que je me souviens de tes copains du collège, ben, c'était pas des lumières, et en plus, vous vous disputiez tout le temps... Finalement ce qui nous lie, c'est un peu comme toi et tes potes actuels. Genre, Seb, Chahid, Hassan... Tu vois le genre, je crois.
— Parfaitement. Mais t'en fais pas trop. Tu vas le revoir, en plus. Bari, c'est pas non plus l'autre bout du monde... Il va peut-être revenir, ou toi, tu pourrais y aller pour ta prochaine fugue.
— Très drôle, vraiment. J'ai pas la thune et tu le sais très bien.
— Oh, ça va. Je disais ça pour rigoler.
Nicolas ne prenait pas le problème au sérieux, et franchement, ça énervait bien Aurélien. Il en avait marre que son frère croit que ce n'était que des amis d'enfance qui seraient vite oubliés.
Ce vendredi soir, alors que son frère se grillait tranquillement une cigarette au balcon tandis qu'ils bavardaient, Aurélien se décida à en demander une à son frère. Parce qu'il n'avait jamais encore fumé, et que ce soir-là, en plein désespoir, il se disait qu'il n'avait plus rien à perdre.
— Passe en une, s'teplaît.
— Hein ? Sérieux ? T'as vraiment envie de t'en griller une ?
— Pourquoi pas ? Allez, fais-moi une place.
Aurélien s'était glissé à la fenêtre et avait réclamé un briquet à son frère. Sans états d'âme, il lui fila son feu. Le gamin essayait pour la première fois, et ça ne le réussissait pas vraiment, il toussait vraiment beaucoup.
— Ah putain ! C'est dégueulasse ton truc !
— Je te l'avais dit. Par contre, tu la fini. Hors de question que j'en fume plus qu'une et hors de question qu'on la jette alors qu'elle est pas commencée. Assume.
Le blond reporta à sa bouche le cylindre, glissant la Marlboro entre ses dents. Il tentait d'apprécier la sensation, face au faible mistral qui les gagnait, accoudés à leur fenêtre. Franchement, c'était pas vraiment très bon. Aurélien s'imaginait un truc génial pour que son frère en soit addict. Mais ce n'était pas extraordinaire, au contraire.
— Je vois pas pourquoi t'es amoureux de cette chose. Ça pue et c'est pas bon.
— Je savais que t'allais dire ça. Mais au bout d'un moment, tu peux plus t'en passer.
Le lendemain soir, Aurélien avait redemandé une clope à son frère. Il avait acquiescé, et lui en avait refilé une.
* * *
Aurélien avait passé les derniers jours à traîner avec Zacaria jusqu'à dix-neuf heures, prolongeant leurs entrevues, au désespoir de sa mère qui gueulait à cause de l'heure si tardive où il rentrait.
Le soir, il ruminait dans son coin, parlant peu à son frère de ses peines. Il était encore aveugle, il passait sa vie avec sa copine Johanna. Aurélien trouvait cette nana compliquée. Toujours un truc à reprocher, toujours un truc qui ne lui convenait pas. Elle l'insupportait. Elle et sa richesse opulente qu'elle aimait montrer, avec ses chaussures et vêtements de marques. Comment Nicolas pouvait-il sortir avec une fille pareille ?
Le samedi matin, Aurélien et ses trois amis s'étaient rassemblés devant le désormais ancien appartement de la famille de Zac', offrant un dernier au revoir à leur ami. Tour à tour, ils lui avaient offert une accolade, rendue avec émotion. Les parents avaient regardé ces adieux d'un œil suspicieux, pressant leur fils pour qu'il se dépêche de rentrer dans l'habitacle. A contre-coeur, il avait ouvert la porte de la bagnole pour s'asseoir sur le siège du milieu, tournant la tête pour apercevoir ses amis qui lui faisaient des signes avec leur main.
Comme l'avait prédit Aurélien, Zacaria était parti avec sa famille à bord de la Peugeot bleu marine, entre ses deux sœurs pour atténuer leur désir de s'embêter mutuellement. Le tissu du siège s'imprégnait dans sa chair, il avait l'impression de se faire tordre les os par la solidité de l'objet. Auré avait salué son ami de la main et avait eu envie de pleurer. Il s'était retenu jusqu'à sa chambre où il avait expulsé toutes les larmes qu'il pouvait produire.
Il s'imaginait la longue attente que devait être le voyage entre Marseille et Bari, la frontière à Menton et le pont Saint Ludovic, et puis, enfin l'Italie. Mais l'épopée jusqu'à Bari était encore longue. Ils avaient le temps de voir passer Milan, Turin, Bologne et Rome avant d'arriver dans leur ville natale et de pouvoir sentir l'odeur si particulière qui devait caractériser leur cité.
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Et ils danseront dans les ténèbres
Ficción GeneralAurélien a quatorze ans, quelques réflexes de grand et une bande de potes soudée avec qui il passe ses journées dans le parc de son quartier marseillais. Quatre gamins qui regardent le foot avec admiration en jonglant entre les cours, les amis et la...