Johanna s'était tirée. Après leur coup à deux, elle avait quitté la salle de bain, retrouvé sa veste en cuir noir et avait descendu quatre à quatre les marches de l'escalier pour atterrir dans la rue. Le vent frais lui chatouilla les narines, elle soupira, et se mit en route pour retrouver sa maison. La tête encore confuse, les idées pas très claires, un taux d'alcoolémie sans doute supérieur à un gramme dans le sang, elle avançait la tête rouge dans les rues pour retrouver son quartier et sa maison.
Pourquoi était-elle partie ? Les mots et les maux se bousculaient dans sa tête, et elle ne savait pas quoi répondre. Pourtant, elle avait aimé son rapport avec Nico. Alors pourquoi s'était-elle enfuie ? La jeune fille n'en avait pas la moindre idée. Et elle s'en foutait. Lundi, elle aurait droit à des remontrances, et là, en ce samedi soir, elle n'en avait plus rien à ficher. Elle était crevée, voulait juste dormir. Alors elle était juste rentrée chez elle. Certes, ce n'était pas très sympa, surtout après la situation qu'ils venaient de vivre. Pauvre Nico, il allait tergiverser pendant des heures le lendemain en se demandant pourquoi sa Jo' s'était tirée. Parce qu'elle n'avait pas aimé ? Que son pénis était trop petit ? Elle en rigolait déjà. Pauvre Nicolas qui n'avait pas confiance en lui ! Pourtant, elle avait aimé, elle en était certaine. Elle avait pris son pied, pour la première fois. Elle était d'ailleurs heureuse. Et puis merde, elle était libre après tout. Si elle voulait se casser parce qu'elle se sentait trop alcoolisée, elle pouvait le faire. C'était pas à ce mec de lui dicter sa conduite.
Elle discernait de loin la baraque qu'elle partageait avec sa mère et son amie, et chercha pendant cinq bonnes minutes son trousseau de clés au fond de sa poche. Elle mit presque autant de temps à ouvrir la porte massive de la maison. La demeure était plongée dans les ténèbres et dans une obscurité repoussante. Sa mère et Maliha dormaient, vu l'heure. Plongée dans le noir total, elle avait regagné à pas de loup sa chambre, connaissant le chemin par cœur. Ses livres l'attendaient, lui murmuraient de les lire, d'arpenter leurs pages peuplées de caractères imprimés en Times New Roman. Mais elle était totalement éclatée, et l'appel de son lit fut plus fort. Elle ne passa pas dans la salle de bain qui jouxtait sa chambre et ne se déshabilla pas. Elle laissa juste tomber la veste en cuir noir qu'elle aimait au sol, se couchant dans ses draps pour trouver le sommeil le plus vite possible.
* * *
Nico avait somnolé allongé contre le tapis de bain. Quand il était sorti, il avait découvert les tocards qui avaient trouvé le trésor de l'appart, le whisky distillé de Pierre. Sans y faire plus attention, il avait cherché Johanna partout. Dans la chambre qu'il partageait où son frère regardait par la fenêtre, dans la cuisine avec les couples qui se bécotaient et dans le salon où les mecs qui avaient été refoulés picolaient. Pas de Jo' à l'horizon. Elle n'avait pas dû aimer. C'était sûr. Pourtant, Nico s'était préparé. Il savait que ce jour allait arriver, il avait réfléchi, il avait même osé poser des questions à Chahid, qui avait tant d'expérience. Il se sentait prêt. Et si Jo' s'était sentie forcée ? Toutes ces questions se retrouvaient à bouillonner dans sa tête. Nico avait envie de mettre tout le monde dehors, mais il n'en avait ni la force ni le courage. Il avait alors lui aussi enfilé sa veste, et était sorti de l'appart. Son quartier était paisible, comme tous les soirs. Il n'y avait personne dans les rues. Le garçon ne tergiversa pas plus que ça et prit la direction du quartier de sa copine.
Arrivé à proximité de sa belle baraque, il se mit directement en tête de la retrouver. Le lycéen avait un peu bu, mais pas tant que ça, se disait-il. Il avait soi-disant les idées claires. Le portail était minuscule, pas plus d'un mètre de haut, et ce fut sans difficulté qu'il réussit à le passer. Dans l'allée qui menait à la maison, il récupéra quelques cailloux. Il avait l'impression d'être un de ces mecs ados qui venaient au milieu de la nuit déclarer la flamme à leur dulcinée. C'était un peu le cas. Il venait juste pour avoir des réponses à ses questions. Les quelques caillasses avaient été envoyées contre la vitre de sa chambre, à côté du lit double que possédait sa copine. Après plusieurs lancés, et de peur de casser le double-vitrage, Nicolas se décida à escalader la façade avec l'aide du toit du garage qui n'avait pas d'étage. Il se mit alors en tête d'arriver sur le toit en légère pente du garage, avec l'aide de poubelles et d'un peu de forces. Hissé à proximité de la fenêtre de sa bien-aimée, il prit le risque de toquer de lui-même, en pendouillant sa jambe gauche dans le vide. Jo' n'avait pas spécialement un sommeil de plomb, à ce que savait Nico. Elle ne prenait pas non plus de somnifères. Mais sa première vraie cuite allait peut-être la faire bien dormir.. Après quelques petits coups d'index méthodiques, une ombre passa devant la vitre, et une forme se dirigea pour ouvrir l'entrée.
— Putain mais t'es fou ? Tu fiche quoi sur le toit de mon garage au beau milieu de la nuit ? Je dors, moi !
— T'es en jeans-T-shirt.
— Flemme de me déshabiller.
— Pourquoi t'es parti comme ça ?
— Eh ! Calme-toi ! Ma mère dort ! Parce que j'étais crevée. Bon, bonne nuit, à plus, fit elle en faisant mine de refermer la fenêtre.
— Non attends ! Pourquoi tu t'es tirée ? Genre, comme ça, sans rien me dire ?
— Ben j'étais juste fatiguée. Je savais que t'allais me poser des questions, mais au point d'abandonner ta teuf et ton appart, pour venir me voir j'aurais pas imaginé.
— Mais t'as aimé ou pas ?
— Ouais. Normal, quoi. Chais pas, ouais. Si tu veux.
— Cool.
— Bon. Je voudrais bien dormir, moi.
Et Jo' avait refermé doucement sa fenêtre. Nico n'en revenait pas. C'était carrément surréaliste, ce dialogue. Il venait de faire quatre-cents mètres pour la voir, et même si ce n'était pas beaucoup, il avait quand même réunis des poubelles pour monter sur un toit et venait de se faire rembarrer sec.
Le retour avait été tout aussi chaotique. Nicolas avait traîné dans son quartier, passant les rues après les rues. Il s'était ensuite dirigé vers le centre-ville et cette place qu'il aimait bien. La Plaine comme on disait, à Noailles, à côté du Vieux-Port. Les rues étaient étroites, éclairées par les lampadaires dont les ampoules marchaient mal. Nicolas en avait lui aussi marre du bruit, de l'ambiance qu'il avait lui-même voulu quelques heures plus tôt. Il préférait donc vagabonder dans les rues du centre-ville, sans trouver la force de rentrer chez lui, de décharger Auré qui n'avait rien demandé. Sauf qu'il s'interrogeait. Il avait bu, un peu, comme tout le monde quoi. Mais assez pour garder les idées claires, parce que c'était quand même lui le chef, ce soir-là. Et que sans états d'âme, il s'était tiré. Pour retrouver cette meuf qui venait de se casser alors qu'ils venaient d'expérimenter leur première relation sexuelle dans leur couple.
Nicolas errait. Aurélien errait aussi. Catherine et Pierre étaient auprès de Micheline après son AVC. Jo' était retournée chez elle, à côté de la plaque. Et c'est au Vieux-Port que Nico s'était retrouvé. Lui aussi il avait envie de se tirer comme l'avait fait son frère quelques semaines plus tôt. Mais peut-être n'en avait-il pas le courage, ou au fond, l'envie. Mais il ne se retrouva pas à la gare routière, mais devant les bars et les clubs friqués du Vieux-Port. Évidemment, on ne le laisserait pas entrer s'il tentait quoique ce soit. Lui et son allure juvénile, ses traits d'ado, ses poches sans un sou. Il restait donc dans l'ombre, derrière les entrées, à zoner sans but, à la recherche d'un quignon de pain ou des restes de repas mit à la poubelle des restaurants. Il avait cette impression de devenir un SDF, là, au milieu de Marseille, sans rentrer chez lui, alors que sa maison devait être entrain de crouler sous les assauts des mecs bourrés qu'il avait lui-même invité ce soir-là.
Pourtant, au milieu de la nuit, il avait fini par remettre ses pieds chez lui. Parce que ses pas avaient fini par l'emmener voyager à la Belle de Mai et que son immeuble à la carrure monumentale s'était dessiné peu à peu dans le brouillard de la nuit qui allait bientôt se dissiper pour laisser place au jour.
Quand il pénétra dans la pièce qui faisait office de séjour, il se rendit compte du chaos qui avait dû régner une fois qu'il était parti. Une bonne dizaine de mecs étaient étalés à terre, ivres morts. Sans doute en coma éthylique, pensa-t-il, en exagérant. Et puis Auré, qu'il retrouva au milieu de cette scène, qui s'était assis sur le canapé et regardait le décor apocalyptique avec une sorte d'indifférence que Nico n'aurait pu qualifier.
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Et ils danseront dans les ténèbres
Narrativa generaleAurélien a quatorze ans, quelques réflexes de grand et une bande de potes soudée avec qui il passe ses journées dans le parc de son quartier marseillais. Quatre gamins qui regardent le foot avec admiration en jonglant entre les cours, les amis et la...