Chapitre 13

14 1 2
                                    

— Salut Maliha ! Salut Maman !

Johanna avait salué sa mère et son amie, les trouvant devant un de ces téléfilms que diffusait la une. Elle était passée par le salon et s'était disposée à embrasser sa mère et son amie.

— Tu étais où ?

— Chez un ami, à la Belle de Mai. On a bossé et je suis restée un peu plus longtemps que prévu. Tu ne t'es pas trop inquiétée, j'espère ?

— Je me doutais bien que tu étais chez ton ami... Je suis contente que tu aies réussi à te trouver une personne comme lui, ma chérie.

— Ouais. Bon, je vous laisse, je monte.

Johanna avait gravi les marches en bois d'olivier de l'escalier en colimaçon et avait ouvert la porte de sa chambre avant de se jeter sur son lit en reprenant sa lecture de La Bataille de Patrick Rambaud, le Goncourt de l'année précédente.

Peu avant minuit, elle s'était décidée à se coucher et à se démaquiller dans la salle de bain attenante à sa piaule. Elle enfila ensuite sa chemise de nuit imprimée à fleurs avant de s'étaler de tout son long dans son lit deux places. Elle cogita longtemps avant de trouver le sommeil. Elle pensait à Nico, ce mec avec qui elle sortait depuis quelques mois déjà. Ça faisait longtemps qu'elle ne s'était pas fait un ami. La plupart du temps, elle vaguait seule dans les couloirs du lycée Saint-Charles, un bouquin sous le bras et lisait quelques pages dès qu'elle en avait l'occasion, entre deux cours ou pendant la pause. C'était sa passion, et n'avait presque aucun lien social. Ce n'était pas de sa faute. Enfin, peut-être un peu, elle n'allait pas vers les autres, mais ces autres ne venaient pas vers elle non plus, mais elle n'était pas dérangée, jusqu'à ce qu'elle rencontre ce Nicolas au CDI, alors qu'elle lisait Dora Bruder, de Patrick Modiano. Il avait été attiré par la couverture du bouquin, alors il s'était approché. En vérité, elle le suspectait plutôt de s'être arrêté pour autre chose, genre sa poitrine, comme tout ce que les mecs aimaient – mais elle ne lui en tenait pas rigueur. Avant lui, elle avait déjà pris l'habitude de passer de temps en temps à Sephora pour entretenir le masque trompeur qu'elle voulait arborer. Parce qu'elle voulait plaire, parce qu'elle ne voulait pas que ce Nicolas ait honte d'elle, et parce que c'était sa première relation sociale depuis deux ans et la mort de son père, excepté le connard avec qui elle avait entretenu une relation toxique, alors elle avait envie de soigner son visage, d'épiler ses sourcils qui prenaient cette direction incongrue, de masquer ses quelques boutons d'acné qui étaient pourtant naturels, et de cacher ses cernes qui avaient fini par devenir quotidiennes avec ses longues soirées passées à bouquiner et à cogiter sur ses livres, sa vie et celle des autres.

Le lendemain avait été rude, le réveil s'était annoncé à six heures quarante-cinq et Johanna avait grincé des dents quand elle avait entendu le son strident de l'appareil. En bas, sa mère était encore en train de profiter de quelques minutes de sommeil bien méritées, et Maliha était déjà levée, et avait préparé le petit-déjeuner. Johanna n'avait pas encore totalement ouvert les yeux, et elle s'était fait deux biscottes au beurre, discutant avec Maliha, qui lisait un article de l'Obs qui traînait dans un coin de la cuisine.

— Tu vas bien, avait demandé la quarantenaire, remettant derrière ses épaules ses tresses africaines brunes.

— Oui, merci. Tu lis quoi ?

— Un article de l'Obs. Ça parle d'une enquête sur le nombre de couples qui se séparent, et de comment ça se passe. C'est assez intéressant, je te le passerai si tu veux.

— C'est gentil, mais je suis sur autre chose en ce moment.

— Ah oui ? Tu lis quoi ?

— J'ai fini hier soir La bataille, le Goncourt de l'année dernière.

Et ils danseront dans les ténèbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant