Chapitre 15

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Le jour s'était levé et les quatre paires d'yeux s'étaient ouverts simultanément. Les rayons du soleil passaient facilement par le tissu étanche de la tente. Et ce fut complètement assommé qu'ils étaient sortis de la tente, avec cette envie de retourner dans leur duvet et de faire une nuit complète. Sauf que Clément avait prévenu Sophie, il rentrerait chez lui vers onze heures avec les gars. Le temps qu'ils atteignent le petit quartier de la Belle de Mai, ils en avaient bien pour une heure. Sortir des Calanques, récupérer la ligne de bus qui ne passait pas fréquemment, surtout un samedi matin, et rentrer dans leur quartier qu'ils connaissaient par cœur. Zacaria, toujours à l'intérieur, avait sorti le sac des provisions. Les chips à l'ancienne étaient terminées, les tucs aussi mais ils restaient quelques cookies et un fond de jus d'orange.

— J'ai la dalle, avait marmonné Clément

Effectivement, on entendait son ventre gronder à des kilomètres. Les garçons avaient ressorti les gobelets en plastique et avaient divisé en quatre la boisson qui restait. Quelques centilitres tout au plus. Les pieds brassant l'eau, le pantalon retroussé, les ados gobaient tranquillement leur cookies tout chocolat. Dino entreprenait même de faire sa toilette. On aurait dit un camp de scouts l'été comme le faisait Clément dans son bled du Cantal. Des affaires séchaient au soleil, T-shirt rouge, jean délavé.

Aurélien s'était allongé sur le rocher les yeux fermés, il profitait de ce soleil qui chauffait, qui lui brûlait les joues et lui faisait mal aux yeux. Les bras grands ouverts, il prenait un bain de lumière.

— Ça va mon pote ? Pas trop dure la vie ?

— Ta gueule.

Ça avait été clair, net, précis, Auré avait envoyé bouler son ami Clément, se concentrant sur ce qu'il ressentait : ce sentiment de plénitude, le mal de dos qui résultait de sa nuit et de la roche qui faisait des vagues.

Ils étaient encore restés quelques dizaines de minutes à profiter de l'air printanier et de ce semblant de campagne qui régnait malgré les quelques promeneurs de bon matin qui traînaient. Torse nu, Dino continuait de faire sa toilette, avec cette eau pourtant polluée. Clément et Zac bavardaient les pieds dans l'eau et Aurélien pionçait au soleil, dos à la roche si dur.

— Les mecs, il est presque dix heures, on décampe, non ?

— T'as raison.

Clément était toujours ponctuel, et il ne voulait pas tenter de revenir en retard chez lui et que leur couverture tombe à l'eau. Ils avaient alors replié la tente et rangé leurs effets personnels dans leurs sacs respectifs et s'en étaient allé de l'emplacement pour regagner l'arrêt de bus.

La ligne qui leur faisait regagner le centre-ville n'était pas très fréquentée. Quelques vieux ici et là avec leur caniche, quelques mecs en bande venus se balader. Le bus les ramènerait au pied de la Canebière, ils feraient le reste à pied.

Dans un coin du bus, juste une grand-mère avec son cabas au tissu écossait et une famille avec une poussette et un môme qui chialait dedans. Il était déjà dix heures et demie, pourtant la ville semblait déserte. Les quatre garçons avaient pris d'assaut les sièges assis, une femme enceinte était entrée, elle avait raflé une autre place mais il restait largement assez d'endroits où s'asseoir pour d'éventuels voyageurs, et les strapontins venaient compléter les places assises permanentes.

Peu à peu, le paysage si familier arrivait. Les barres d'immeubles, puis le centre-ville et ses appartements aux longs volets, et enfin, leur quartier qui se dessinait au loin : la friche, les quelques bâtiments et les petites maisons délabrés. Le bus s'arrêta comme prévu à la Plaine, déposant quatre gosses remettant les pieds sur terre. La maison de Clément n'était pas très loin, et en silence, ils s'y rendirent. Cette nuit était décidément passée beaucoup trop vite. Ils avaient discuté, mangé, nagé, mais ce n'était pas assez. Ils n'étaient résolument pas disposés à se quitter la semaine suivante. Dans la maison de Clément, tout était calme, pour une fois. Un de ses frères était parti faire un tour, l'autre était logé à la bibliothèque. Le père regardait un truc débile à la télé et juste à côté sa femme pliait docilement du linge. Sophie, elle, était attablée à la cuisine, déjà dans ses cours et ses manuels. Quand Chantal avait vu débarquer tout ce petit monde, elle avait vite déchanté. La culture de l'accueil était pourtant dans ses veines, et aussitôt, elle ouvrit sa porte à son fils et ses amis. Elle leur proposa un verre d'eau, et la grande sœur fit un petit clin d'œil à la troupe, signe que leur manigance avait marché. Serrés sur la petite table de cuisine, dans la minuscule maison, c'était de bon cœur qu'ils riaient aux blagues incertaines de Sophie et de son humour. Puis chacun se sépara avec la promesse de se revoir le lundi, mais avec cette amertume, cette sensation de ne pas avoir assez profité de ce dernier week-end entre amis, avant que la troupe n'éclate et que chacun ne disperse chez lui les cendres d'une amitié terminée.

Et ils danseront dans les ténèbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant