Chapitre 21

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— Je savais pas que tu traînais au parc le dimanche, avait entamé Ichrak

— Ouais. Souvent je vais chez ma grand-mère, mais... Mon autre grand-mère a eu un accident, et mes parents sont partis la voir.

— Elle habite loin ?

— Un peu. Vers Gap, je sais pas si tu vois.

— Pas trop.

— C'est genre à deux heures de route.

— Ah, bah ça va ! Le Kurdistan, d'ici, c'est super loin. Et pourtant, il y a toute ma famille.

— Tes grands-parents habitaient loin de ta maison, en Irak ?

— Ca dépend. Les parents de mon père habitaient dans ma rue, mais ceux de ma mère un peu plus loin, dans un village au nord d'Erbil.

Les deux ados avançaient vers le centre-ville pour pouvoir se balader tous les deux par se dimanche ensoleillé sur le port.

— T'as jamais eu envie de prendre le large, avait subitement demandé Ichrak.

— Ouais. Parfois. Mais j'ai tout ici... Enfin, si tu parles prendre le large dans le sens tout plaquer et se tirer. D'ailleurs, j'ai fait une micro-fugue, il y a un peu plus d'une semaine. J'ai juste remonté un peu vers le nord... Mais si tu veux juste prendre un bateau et faire une virée en mer, je pense que c'est possible. Suffirait qu'on aille à la Ciotat un de ces quatre, je connais un vieux pêcheur qui pourrait nous emmener.

— Je parlais un peu des deux, en fait. J'ai envie de me tirer d'un côté, de retrouver ma grand-mère, ma ville, ma maison. Mais j'ai pas envie de me retaper tout le chemin qu'on a dû passer, et retrouver la guerre dans mon pays. Je prendrais bien le bateau, aussi. Parce que ça nous ferait lâcher prise, quitter la terre ferme pour s'élancer un bateau.

— Tu sais bien nager ?

— Pas trop, avoua-t-elle, honteuse.

— C'est pas grave. J'pourrais t'apprendre, un de ces quatre, si ça te branche.

— Ouais. Pourquoi pas.

Les deux amis avaient traîné dans un café tenu par une connaissance du père d'Ichrak à quelques dizaines de mètres du Vieux-Port et usant de son charisme, l'adolescente avait réussi à obtenir une réduction. Ils s'étaient alors tout deux installés en terrasse, Aurélien remerciant son amie pour l'invitation. Ils avaient juste commandés un diabolo pour elle et une grenadine pour Auré.

Quand ils ont eu fini de siroter leur boisson en terrasse, ils s'étaient redemandés ce qu'ils pouvaient bien faire. Ichrak avait réfléchi quelques instants avant de demander à son ami :

— Et si je t'emmenais chez mon disquaire ? C'est là que je trouve mes vinyles et tout. Le disquaire de la rue Lodi, tu connais ? C'est un peu loin, par contre.

L'adolescente avait visiblement des goûts contradictoires. Elle écoutait du bon rock des années quatre-vingts et quatre-vingt-dix, et pourtant traînait dans les repères des jeunes des sixties et seventies. Les vieux disques quarante-cinq tours aux faces A et B n'étaient plus vraiment utilisés. Les CD primaient désormais. Même les walkmans étaient peu à peu abandonnés. Et pourtant, Ichrak semblait attachée à cette méthode pour écouter sa musique. La disquaire était une passionnée, avec ses longs cheveux bruns ondulés, elle portait des créoles rouges qui se voyaient à des kilomètres. Sa silhouette élancée en faisait quelqu'un de peu anodin. Elle y connaissait un rayon en musique, et conseillait souvent l'adolescente venue chercher de quoi se nourrir en rock, métal ou punk.

Les rues s'enchaînaient, et Ichrak ne prenait même pas la peine de lire le nom des ruelles avant de s'y engouffrer, elle connaissait le chemin par cœur. Elle tournait à droite puis à gauche, sûre de ses actions. Aurélien, qui suivait toujours derrière, l'admirait pour ce sens de l'orientation qu'elle avait su aiguiser.

Et ils danseront dans les ténèbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant