Chapitre 17

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— T'en veux une ?

Aurélien était affalé dans ce sofa du salon autour de tous les gars qui dansaient sur ce single des années soixante-dix.

La bière décapsulée qui lui proposait son frère ne lui faisait pas envie. Les invités avaient pourtant tous cette boisson d'Heineken dans la main. Deux trois rastas se roulaient de la beuh dans un coin à côté du tourne-disque. Un des leurs changea la musique et Bob Marley fit son entrée avec Could you be loved, et les fumeurs se mirent à planer au son de leur maître jamaïcain.

Aurélien se demandait ce qu'il foutait sur ce canapé. Ses parents étaient partis en urgence à Gap parce que la grand-mère avait fait un AVC. Nico ne s'était donc pas fait prié pour inviter toutes ses connaissances lycéennes dans l'appartement familial et Auré subissait les délires de ces mecs alcoolos à la musique mise à fond, faisant exploser les décibels. Un voisin allait sans doute appeler la police pour le traditionnel tapage nocturne du samedi soir. Aurélien n'avait pas eu son mot à dire quant à l'organisation de la fête dans l'après-midi mais avait négocié pour que sa chambre ne soit pas envahie par des mecs complètement bourrés vomissant leurs tripes, confondant une triste piaule avec la salle de bain.

La musique continuait de battre son plein, Nirvana et Come as you are passait après du Bob Marley, Guns'n'roses vous souhaitait une bienvenue dans la jungle, et les ados enchaînaient les défis et les discussions de lycéens autour de bières en cannettes qu'avaient amenées Chahid, le pote de son frère. Auré s'était arrêté de compter les invités autour d'une vingtaine, quand ils déferlaient dans les escaliers pour entrer dans l'appartement minuscule. Un nid pour faire la fête un samedi soir entre deux aisselles en sueur. Les meufs avaient revêtu des petits tops, des robes et des jupes sexy, Auré n'y faisait pas attention. Ils entendaient ces pipelettes parler du plus beau mec, avec leurs dizaines de barrettes dans leurs cheveux parfaitement lisse. Il voyait ces mecs qui se croyaient virils qui fumaient pour se la couler douce, ces couples qui venaient d'être formés qui se roulait des pelles sans pudeur, il apercevait leur rouge à lèvres qui se reproduisait sur les joues du partenaire. Rien qu'à voir les tourtereaux d'un œil, Auré pouvait deviner combien de bières ils avaient pris. Dans la cuisine, ce n'était pas mieux. Le buffet avait été terminé en un rien de temps, et les mecs étaient partis farfouiller le frigo, piller les placards de quelques denrées à se mettre sous la dent. Le capharnaüm était tel qu'Auré ne voulait même pas s'imaginer le bordel que ce serait pour ranger. Nico avait bu en plus, ça se voyait. Il avait le nez rouge et parlait bizarrement. Première gueule de bois. Le blond avait retrouvé son frère contre le lavabo de la salle de bain une main sous le T-shirt de Johanna. Il ne s'était pas trompé de meuf, au moins, rigola Aurélien, avant de partir pour les laisser tranquille. L'odeur d'alcool et de sueur qui régnait avait envie de le faire dégobiller. La porte-fenêtre pour accéder au balcon était grande ouverte, et le bruit de la musique devait se diffuser dans toute la rue. Auré tenta de se faire une place sur le sofa occupé par deux couples parfaits, et se rendit compte à quel point il était seul. Pas de copains dans le coin, pas encore de soirée de cette envergure, avec drogues, alcools et meufs. Il s'ennuyait. Il était dégoûté par ce côté bestial, par cette odeur de bière hollandaise qu'il avait goûté en recrachant, par ces meufs qui s'affichaient presque en soutif, tellement leur haut était petit et transparent. Il partit se réfugier dans sa chambre, ouvrit la fenêtre pour avoir un peu d'air, mais les « boum » retentissaient toujours, le blond avait l'impression de devenir sourd au fil des morceaux qui s'enchaînaient, que chacun y allait de ses goûts pour vous balancer une bonne vieille musique de métal à en faire perdre les oreilles des plus sensibles.

Au diable, pourquoi Nicolas avait eu cette subite idée d'inviter tout le lycée dans un appartement si petit ? Aurélien n'avait pas eu son mot à dire. Son frère avait sauté sur l'occasion sans s'inquiéter le moins du monde pour sa grand-mère. Il voulait sans doute paraître lui aussi cool, capable d'organiser une fête comme tous les gars de son âge. La soirée avait été organisée en une après-midi à la va-vite et c'est Sébastien qui avait pu contacter tout un tas de monde grâce à son accès facile à internet.

Nico avait emmené Johanna dans la salle de bain de l'appartement. Il n'y avait plus de place, le salon était bondé, la cuisine tout autant, un mec vomissait dans la cuvette des chiottes et Auré s'était enfermé dans sa chambre. Il ne restait que la salle de bain squattée par une meuf qui se refaisait une beauté en piquant en toute impunité dans les quelques produits premiers prix que Catherine possédait. Le propriétaire désigné de l'appartement l'avait sorti en moins de deux en activant le verrou sur la porte. Johanna avait escaladé le lavabo pour se retrouver assise contre le robinet qui lui faisait mal à la colonne vertébrale. Mais elle s'en foutait. Et puis y avait Nico, les mains fouillant sous son T-shirt serré en l'embrassant.

Johanna et Nicolas étaient littéralement en train de se manger. Ce n'était pas passionnel, c'était juste un besoin de dévorer l'autre, de sexe, aussi. Ses cheveux châtains s'étaient emmêlés avec la sueur qui peuplait ses longues mèches, son cœur battait à cent à l'heure et son rouge à lèvres rouge vif s'était étalé sur la bouille de Nicolas. Ils se déshabillaient mutuellement, dans la pièce, la tension montait, ce besoin de l'autre les accaparait, ils étaient redevenus des animaux. Tout deux, ils s'étaient entraînés sur le sol et le carrelage blanc, allongés comme deux cons. L'excitation était à son paroxysme. Ils s'étaient baisés sur le carrelage. Avec ce côté violent et bestial, mais aussi cette douceur. C'était leur première fois, enfin, pour Nico, alors oui ils étaient un peu ivres et beaucoup excités, mais ils savaient faire les choses bien. En plus Nico avait prévu une capote dans son jeans. Jo' n'était pas sûre d'aimer Nico. Et lui, il n'était pas sûr d'aimer Jo'. C'était l'intensité du moment qui les intéressait, ces temps passés à deux êtres collés au tapis de la salle de bain. Parce que Jo' avait les cheveux en pétard et parce qu'au final, ils étaient heureux. Bourrés, mais heureux. Et puis cette douceur, ces gestes méthodiques, Nico avait été content de les exercer, alors peut-être que finalement, ils avaient fait ce que les vieux appellent « l'amour » ? Le brun en était là dans sa vie, collé contre sa copine, en regardant la nuit par la petite fenêtre, obnubilé par l'autre et par cette musique beaucoup trop forte de l'autre côté de la paroi.

Des coups avaient cogné à la porte. Une meuf dans l'entrée ne s'était pas retenue pour ouvrir la porte de l'appart. C'était les flics. Ils étaient trois et demandèrent presque gentiment de baisser la musique. Ils firent abstraction des bières étendues sur la table basse du salon, alors qu'ils avaient remarqué l'âge moyen des fêtards. Nico était sorti de sa salle de bain en trombe, les cheveux pleins de sueur, raccompagnant les flics à la porte. La musique était très basse maintenant, et ils attendirent quelques minutes pour la remettre un peu plus fort.

Dans sa chambre, Auré était en train de cogiter. Il s'imaginait des plans pour nettoyer le plus vite possible avant le retour des parents, qui pouvaient arriver à tout moment. Il avait la trouille, le marmot. Parce qu'il ne voulait pas avoir d'ennuis, parce que sa cervelle venait de rendre l'âme à cause de la musique si forte. Il avait fini par bénir la venue de la police qui les avait un peu calmés. Mais impossible de dormir dans cette foire. Aurélien ne savait plus quoi faire. Étendu au sol en T-shirt face à la fenêtre ouverte, il était clairement à bout.

Un tocard avait été farfouillé dans la chambre des époux Fournier, et en plus d'avoir sorti les culottes en dentelle noire de Catherine, il avait déniché le Graal, le seul trésor de la maison : l'alcool distillé de Pierre, caché derrière ses caleçons en coton. Les mecs avaient bu à outrance le whisky et s'étaient tous endormis cul-sec ivres morts contre le parquet flottant du salon, accueillant une odeur âpre de vomi et d'alcool.

Et ils danseront dans les ténèbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant