Chapitre 52

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C'était la rentrée pour Zacaria. Il appréhendait. Pour la première fois, il changeait d'école, et le changement était radical : il entrait dans une école italienne. Par chance, c'était la même que Cora, la fille qu'il fréquentait. Depuis son arrivée, avec Dino, il n'avait parlé à personne d'autre de son âge. Il n'arrivait pas à faire le premier pas. De toute façon, il avait toujours été timide. Et l'inquiétude qu'il ressentait à quelques minutes de son entrée dans sa nouvelle école était grandissante. Ses pensées divaguaient alors qu'il réalisait le chemin qui devrait bientôt lui être familier entre sa maison et son établissement – à cause de l'état de santé de sa grand-mère, son père avait renoncé à son plan en banlieue. Il pensait à ses amis. Ça faisait une semaine qu'ils avaient repris, que le dur labeur des cours était revenu après deux mois de répit. Il s'imaginait les profs qui les bassinaient déjà à propos du brevet, que c'était une année charnière à ne pas louper, qu'il allait falloir bosser. Dino l'avait quitté à la mi-août pour rentrer à Marseille et retrouver Clément et Aurélien. Ils avaient beaucoup échangé, avaient fait quelques excursions dans les recoins de Bari, mais jamais aussi extravagante que celle qu'ils avaient fait pour la finale. Après cet épisode, ils s'étaient fait sévèrement réprimander, Dino avait assisté à des crises de larmes, et ils avaient fait face à des restrictions. Obligation de rentrer à dix-huit heures et autres pérégrinations. Malgré ces injonctions, aucuns des deux ne regrettaient ce qu'ils avaient fait ce douze juillet. Peut-être que si la France avait perdu, ça n'aurait pas été pareil. La question ne s'était pas posé, puisque les bleus avaient obtenu le trophée.

Avec Cora, il s'était aussi bien amusé. Cette fille dégageait une aura particulière, un positivisme remarquable que Zac' ne manquait pas d'apprécier. Elle lui montrait ce qu'elle aimait faire, ce qu'elle lisait – des romans d'horreur du genre de la collection Chair de Poule – ou elle lui présentait ses frères et sœurs. Elle arborait toujours sa queue de cheval et ses cheveux emmêlés, avec ses T-shirt trop petits qui laissaient entrevoir sa poitrine qui n'avait pas encore grossi : seuls deux petits seins se dessinaient derrière le tissu. Cora était ce genre de fille intrépide, féminine et drôle. Pas vraiment dans le style d'Ichrak, qui elle avait une allure plus punk et peut-être plus réaliste du monde. L'Italienne était excentrique avec ses shorts en jeans, son sourire et ses dents jaunes qui s'écaillaient derrière ses lèvres rosies. Zac l'avait suivi tout l'été, dans de petites boutiques pour touristes où elle se délectait, au cinéma pour aller voir les derniers succès. Ils s'étaient beaucoup amusés, à batifoler sur le lit mauve de Cora, dans cette atmosphère qui contrastait. Les murs de la pièce étaient peints en rose, une coiffeuse et des posters de chanteurs italiens que Zacaria ne connaissait pas envahissaient la pièce. Ils s'étaient embrassés pour la première fois dans ce lieu pourtant sacralisé. Juste quelques baisers à la sauvette, sur la couette aux motifs roses que Cora arrangeait chaque matin. Avec cette fille, il se sentait bien. Elle avait une allure puérile, se foutait du regard des autres, dansait au milieu de la rue sans se soucier des rictus moqueurs des passants. Parfois elle se faisait deux couettes et elle partait à l'assaut de la ville italienne. Elle avait treize ans et paraissait comme une enfant. Elle aimait ce côté trompeur d'elle-même. Avec Zac', elle l'emmenait sur le bateau d'un de ses cousins et ils regardaient la mer et les côtes des Balkans qu'on ne voyait pas, la ville albanaise qui était juste en face. Une proximité rapprochait les deux pays, et plus au Nord, on imaginait la Bosnie ou ce qui restait de la Yougoslavie.

Sur le chemin de sa nouvelle école qui se rapprochait de plus en plus, il tentait de faire le point, le vide sur les mois qui venaient de s'écouler. Il n'avait pas eu le temps de reprendre le fil de ses pensées que la silhouette longiligne de Cora se dessinait à l'angle d'une rue.

— Salut Zacaria ! Comment tu vas ? T'es prêt à affronter ta rentrée ?

— C'est pas vraiment comme si j'avais le choix.

Et ils danseront dans les ténèbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant