Chapitre 50

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Ça faisait bizarre de se retrouver une fois de plus dans la cours du collège qu'Auré connaissait si bien. Depuis sa première rentrée dans l'établissement, en sixième, quand il avait encore toute sa naïveté et qu'il était haut comme trois pommes, en fait. Le temps avait passé et face aux grands hêtres de la cour fermée, le discours du proviseur paraissait dénué de sens. Il disait que c'était l'année la plus importante, celle du brevet, que c'était une année charnière pour leur avenir et d'autres conneries du genre. C'était aussi la première rentrée des classes où l'un d'entre eux n'était pas là, et frontalement, ça faisait encore mal. Le sourire jovial de Zacaria manquait à l'appel.

Serrés les uns contre les autres, les tout nouveaux troisièmes attendaient avec impatience l'annonce des professeurs principaux. Ils sauront enfin avec qui ils partageront neuf mois de leur vie, leurs meilleurs amis ou d'autres, qui n'avaient pas leur importance. Derrière le principal qui récitait le même discours pourri chaque année, une armada de professeurs se tenait prête, ils étaient combatifs une nouvelle fois pour la rentrée. Aurélien regarda ses deux amis en souriant, Clément balança une vanne et l'appel de la première classe commença. Les noms défilaient par ordre alphabétique, le principal écorchait un patronyme toutes les minutes, et les gamins s'avançaient en rang, en se réjouissant d'avoir son pote dans la même classe que lui, ou au contraire, en croisant les doigts pour que le nom désiré d'un ami soit énoncé.

Dans la deuxième classe, on appela Dino et Clément, et Aurélien se retrouva seul et démuni en regardant la classe de ses amis partir. Il ne fut appelé qu'à la fin, dans la même classe que son amie kurde. Le début d'une nouvelle aventure commençait. Le blond était séparé de ses deux amis, mais il était avec Ichrak.

Après le baratin habituel des profs, il s'était fait mettre la pression pour le brevet, on leur avait dit que c'était une année sérieuse et qu'il fallait bosser. Auré n'avait rien noté de ce que disait le prof, bien trop occupé à discuter avec son amie. A la sortie des cours, il avait retrouvé ses potes et comme si rien n'avait changé, ils étaient partis au parc avec le ballon de Dino pour s'amuser et oublier la morose journée de rentrée qu'ils venaient de vivre.

Auré s'en rendait compte, avoir des bonnes notes, c'était un investissement pour l'avenir. Les notes étaient abstraites, ne rimaient à rien, si ce n'est à un chiffre pointé en rouge sur une copie. On disait aux gosses que ça leur servirait pour plus tard. Mais pour le moment, fallait juste bosser, bosser. Apprendre des définitions en histoire et des propriétés en maths dont personne ne voyait l'utilité. Certains ne prenaient pas l'avertissement au sérieux, sans doute parce qu'ils avaient du mal à se projeter. Quand ils finissaient en général sans plus rien comprendre et sans savoir quoi faire en pro, on les retrouvait largués. Simplement parce qu'eux, les gamins des quartiers, l'éducation Nationale avait préféré les oublier, se concentrer sur les gamins favorisés, qui eux avaient de l'avenir pour finir cadre comme leurs parents, qui réussissaient, grâce à la reproduction sociale. On vantait aux jeunes les valeurs du travail, mais c'était souvent une histoire de famille. Et là-dedans, la patrie y était pour grand chose. C'était peut-être un cliché, mais néanmoins la réalité. Les gosses des cadres blancs avaient de bonnes notes, les enfants d'ouvriers galéraient plus. Parce que chez eux, ils n'avaient pas les moyens de se faire aider. Le leurre de l'éducation, c'était l'espoir qu'ils faisaient semblant de donner aux jeunes. De leur dire de bosser, que c'était le seul paramètre qui rentrerait en compte. Alors que les origines sociales et les capacités intellectuelles étaient les plus grands facteurs. On disait aussi que la voie générale était la meilleure, le Graal, réservée aux dossiers les mieux classés. On dénigrait les BEP et les bacs pro, sans cesse décriés, pour ceux qui n'avaient rien branlé. Le paradoxe de l'orientation dans toute sa splendeur.

Au moins, le soir, avec ses amis, Aurélien pouvait décompresser. Oublier les soucis de la journée, les cours qui le pourrissait. Il s'amusait comme un gosse au parc, discutait musique avec Ichrak. C'était ça qui l'animait dans la vie. Apparemment, ce n'était pas une option qu'avait retenue la conseillère d'orientation.

— T'as des nouvelles de Zac' ? demanda Auré.

— Euh ouais. Je l'ai eu au téléphone avant-hier. Sa rentrée est lundi prochain, je crois.

— Attends : tu veux dire qu'il est encore en vacs ?

— Oui.

— Putain...

— J'ai l'impression que t'es pas chaud pour cette année, Auré. T'es déprimé depuis ce matin.

— Ben ouais. La troisième, ça m'enchante pas.

— T'inquiète, mon pote, fit Clément. Même si on va pas dans le même lycée l'année pro, au moins, on aura profité. Et puis, on a encore un an...

— J'me sens tellement pas prêt à grandir, en vrai.

— Ouais. Moi non plus, conclua Dino. On y retourne ?

Aurélien avait la sensation bizarre d'être toujours avec Zac' qui errait avec eux dans les rues de la ville. Il sentait sa présence à ses côtés, comme si un fantôme venait le hanter. Il pensait souvent à son ami. Il regardait sur le calendrier quand ils pourraient se voir. Probablement qu'aux prochaines grandes vacances, quand le groupe se serait éparpillé et que Zacaria aurait refondé un groupe d'amis, sans tarder à remplacer ses vieux potes de Marseille.

Vers dix-huit heures, Aurélien et ses amis s'étaient séparés pour rentrer chez eux. Ils avaient comparé leurs emplois du temps respectifs pour savoir quand ils finissaient aux mêmes horaires, et quels profs ils avaient en commun pour pouvoir se passer des tuyaux pour les contrôles et pouvoir les critiquer ensemble, une noble activité en soi. Aurélien ralliait ensuite l'appartement familial où les heurts entre son père et sa mère étaient plus violents que les jets de lacrymo des flics en manif. Le climat était explosif. Il ne sortait de sa tanière que pour les repas, et Nicolas avait déserté les lieux pour partir vivre chez son pote Seb. Et Auré n'exagérait même pas, ça faisait plus d'une semaine qu'il n'avait pas croisé la tête de son frère. Sa mère gueulait contre son père et elle quittait l'appart presque chaque soir. Après la semaine de congé de Pierre qui avait fini à l'hosto après avoir démissionné, il était parti quelques jours, squatter chez un pote, ou dormir dehors, il n'avait rien dit. Mais un soir, alors que le repas se dévorait dans le plus grand des calmes dans la cuisine, le bruit des clés qui s'entremêlaient dans la serrure était parvenu aux oreilles des occupants. La figure décrépit de Pierre était arrivée, il était presque noir de suie, sa figure était sale et ses quelques habits tâchés. Catherine n'avait rien dit. Pierre était parti dans la salle de bain se décrasser. Le repas avait continué dans le même silence religieux qu'à l'accoutumée. Depuis cet épisode, Catherine n'avait pas eu le cœur à foutre Pierre dehors. Peut-être avait-elle trop de sentiments contradictoires envers cet homme, peut-être n'avait-elle pas envie qu'il se retrouve à errer dans les rues de la Belle de Mai ou de Noailles à la recherche d'un foyer. Plusieurs fois, elle avait voulu aborder la question, en demandant s'il ne voulait pas prendre un appart. Mais elle se rendait compte qu'il ne pouvait pas. Il ne bossait plus, impossible d'avoir des fiches de payes en règle et de respecter le tas de conditions que foutait le proprio, les loyers d'avance, les garants. Alors il restait sur le canapé qu'il s'appropriait, qu'il salissait encore un peu plus.

Parfois, c'était Pierre qui partait faire un tour, parfois c'était Catherine qui faisait une trêve chez sa mère. Mais la famille qu'avait connue Auré n'était plus, elle était fragmentée de tous les côtés, impossible de la rabibocher. Le soir, quand il était seul dans sa chambre, il se mettait à parler à son frère. Puis il se rendait compte qu'il n'était pas là. Quand il sortait de son antre pour faire la bise à ses parents, il ne trouvait que l'épave de son père sur le canapé. Et soudainement, il revenait à la réalité.

Et ils danseront dans les ténèbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant